Aller au contenu

Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t3.djvu/491

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

bienfaitrice alloit lui rendre la sienne encore plus rude. C’est aussi ce qu’elle fit en termes tres touchants, louant son bon naturel, déplorant les mauvais exemples qui l’avoient séduit & le regret tant si sincerement, que, déjà disposée à la tristesse, elle s’émut jusqu’à pleurer. Tout à coup le cabinet s’ouvre, l’homme en guenilles en sort impétueusement, se précipite à ses genoux, les embrasse & fond en larmes. Elle tenoit un verre ; il lui échappe : Ah ! malheureux ! d’où viens-tu ? se laisse aller sur lui & seroit tombée en foiblesse si l’on n’eût été prompt à la secourir.

Le reste est facile à imaginer. En un moment on sut par toute la maison que Claude Anet étoit arrivé. Le mari de la bonne Fanchon ! quelle fête ! À peine était-il hors de la chambre qu’il fut équipé. Si chacun n’avoit eu que deux chemises, Anet en auroit autant eu lui tout seul qu’il en seroit resté à tous les autres. Quand je sortis pour le faire habiller, je trouvai qu’on m’avoit si bien prévenu qu’il falut user d’autorité pour faire tout reprendre à ceux qui l’avoient fourni.

Cependant Fanchon ne vouloit point quitter sa maîtresse. Pour lui faire donner quelques heures à son mari, on prétexta que les enfans avoient besoin de prendre l’air & tous deux furent chargés de les conduire.

Cette scene n’incommoda point la malade comme les précédentes ; elle n’avoit rien eu que d’agréable & ne lui fit que du bien. Nous passâmes l’apres-midi, Claire & moi, seuls auprès d’elle ; & nous eûmes deux heures d’un entretien