Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t3.djvu/527

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les élevent à leur sphere ; mais il y en a. Celle d’Edouard étoit de ce nombre. La Marquise espéroit le gagner ; c’étoit lui qui la gagnoit insensiblement. Quand les leçons de la vertu prenoient dans sa bouche les accens de l’amour, il la touchait, il la faisoit pleurer ; ses feux sacrés animoient cette ame rampante ; un sentiment de justice & d’honneur y portoit son charme étranger ; le vrai beau commençoit à lui plaire : si le méchant pouvoit changer de nature, le cœur de la Marquise en auroit changé.

L’amour seul profite de ces émotions légeres ; il en acquit plus de délicatesse : elle commença d’aimer avec générosité ; avec un tempérament ardent & dans un climat où les sens ont tant d’empire, elle oublia ses plaisirs pour songer à ceux de son amant & ne pouvant les partager, elle voulut au moins qu’il les tînt d’elle. Telle fut de sa part l’interprétation favorable d’une démarche où son caractere & celui d’Edouard qu’elle connoissoit bien, pourroient faire trouver un raffinement de séduction.

Elle n’épargna ni soins ni dépense pour faire chercher dans tout Rome une jeune personne facile & sûre ; on la trouva, non sans peine. Un soir, après un entretien fort tendre, elle la lui présenta ; disposez-en, lui dit-elle, avec un soupir ; qu’elle jouisse du prix de mon amour, mais qu’elle soit la seule. C’est assez pour moi si quelquefois auprès d’elle vous songez à la main dont vous la tenez. Elle voulut sortir, Edouard la retint. Arrêtez, lui dit-il ; si vous me croyez assez lâche pour profiter de votre offre dans votre propre maison, le sacrifice n’est pas d’un grand prix & je ne vaux pas la