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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t3.djvu/541

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Edouard la connoissoit trop pour en espérer plus rien. Il s’en détachoit insensiblement sans pouvoir s’en détacher tout-à-fait, il s’approchoit toujours de l’indifférence sans y pouvoir jamais arriver. Son cœur le rappelloit sans cesse chez la Marquise ; ses pieds l’y portoient sans qu’il y songeât. Un homme sensible n’oublie jamais, quoi qu’il fasse, l’intimité dans laquelle ils avoient vécu. À force d’intrigues, de ruses, de noirceurs, elle parvint enfin à s’en faire mépriser ; mais il la méprisa sans cesser de la plaindre ; sans pouvoir jamais oublier ce qu’elle avoit fait pour lui ni ce qu’il avoit senti pour elle.

Ainsi dominé par ses habitudes encore plus que par ses penchans, Edouard ne pouvoit rompre les attachemens qui l’attiroient à Rome. Les douceurs d’un ménage heureux lui firent désirer d’en établir un semblable avant de vieillir. Quelquefois il se taxoit d’injustice, d’ingratitude même envers la Marquise & n’imputoit qu’à sa passion les vices de son caractere. Quelquefois il oublioit le premier état de Laure & son cœur franchissoit sans y songer la barriere qui le séparoit d’elle. Toujours cherchant dans sa raison des excuses à son penchant, il se fit de son dernier voyage un motif pour éprouver son ami, sans songer qu’il s’exposoit lui-même à une épreuve dans laquelle il auroit succombé sans lui.

Le succès de cette entreprise & le dénoument des scenes qui s’y rapportent sont détaillés dans la XII Lettre de la V Partie & dans la III de la VI, de maniere à n’avoir plus rien d’obscur à la suite de l’abrégé précédent. Edouard