Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t3.djvu/56

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dans des sentimens si divers la différence se fait sentir à proportion de leur vivacité.

Quant à lui, quoique je l’aie reconnu du premier instant, je l’ai trouvé fort changé ; & ce qu’autrefois je n’aurois guere imaginé possible, à bien des égards il me paroit changé en mieux. Le premier jour il donna quelques signes d’embarras & j’eus moi-même bien de la peine à lui cacher le mien ; mais il ne tarda pas à prendre le ton ferme & l’air ouvert qui convient à son caractere. Je l’avois toujours vu timide & craintif ; la frayeur de me déplaire & peut-être la secrete honte d’un rôle peu digne d’un honnête homme, lui donnoient devant moi je ne sois quelle contenance servile & basse dont tu t’es plus d’une fois moquée avec raison. Au lieu de la soumission d’un esclave, il a maintenant le respect d’un ami qui honorer ce qu’il estime ; il tient avec assurance des propos honnêtes ; il n’a pas peur que ses maximes de vertu contrarient ses intérêts ; il ne craint ni de se faire tort, ni de me faire affront, en louant les choses louables ; & l’on sent dans tout ce qu’il dit la confiance d’un homme droit & sûr de lui-même, qui tire de son propre cœur l’approbation qu’il ne cherchoit autrefois que dans mes regards. Je trouve aussi que l’usage du monde & l’expérience lui ont ôté ce ton dogmatique & tranchant qu’on prend dans le cabinet ; qu’il est moins prompt à juger les hommes depuis qu’il en a beaucoup observé, moins pressé d’établir des propositions universelles depuis qu’il a tant vu d’exceptions & qu’en général l’amour de la vérité l’a guéri de l’esprit de systeme ; de sorte qu’il est devenu