Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t3.djvu/64

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Quant à présent, demande-moi pardon de toutes manieres. Le beau projet que celui de prendre son mari pour son confident & l’obligeante précaution pour une aussi sainte amitié que la nôtre ! Amie injuste & femme pusillanime ! à qui te fieras-tu de ta vertu sur la terre, si tu te défies de tes sentiments & des miens ? Peux-tu, sans nous offenser toutes deux, craindre ton cœur & mon indulgence dans les nœuds sacrés où tu vis ? J’ai peine à comprendre comment la seule idée d’admettre un tiers dans les secrets caquetages de deux femmes ne t’a pas révoltée. Pour moi, j’aime fort à babiller à mon aise avec toi ; mais si je savois que l’œil d’un homme eût jamais fureté mes lettres, je n’aurais plus de plaisir à t’écrire ; insensiblement la froideur s’introduiroit entre nous avec la réserve & nous ne nous aimerions plus que comme deux autres femmes. Regarde à quoi nous exposoit ta sotte défiance, si ton mari n’eût été plus sage que toi.

Il a tres prudemment fait de ne vouloir point lire ta lettre. Il en eût peut-être été moins content que tu n’espérais & moins que je ne le suis moi-même, à qui l’état où je t’ai vue apprend à mieux juger de celui où je te vois. Tous ces sages contemplatifs, qui ont passé leur vie à l’étude du cœur humain, en savent moins sur les vrais signes de l’amour que la plus bornée des femmes sensibles. M. de Wolmar auroit d’abord remarqué que ta lettre entiere est employée à parler de notre ami & n’auroit point vu l’apostille où tu n’en dis pas un mot. Si tu avais écrit cette apostille, il y a dix ans, mon enfant, je ne sais comment tu aurais fait, mais