Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t3.djvu/94

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ce fut là ma premiere indiscrétion & j’espere que ce sera la derniere.

Il régnoit dans cette petite assemblée un certain air d’antique simplicité qui me touchoit le cœur ; je voyois sur tous les visages la même gaieté & plus de franchise peut-être que s’il s’y fût trouvé des hommes. Fondée sur la confiance & l’attachement, la familiarité qui régnoit entre les servantes & la maîtresse ne faisoit qu’affermir le respect & l’autorité ; & les services rendus & reçus ne sembloient être que des témoignages d’amitié réciproque. Il n’y avoit pas jusqu’au choix du régal qui ne contribuât à le rendre intéressant. Le laitage & le sucre sont un des goûts naturels du sexe & comme le symbole de l’innocence & de la douceur qui font son plus aimable ornement. Les hommes, au contraire, recherchent en général les saveurs fortes & les liqueurs spiritueuses, alimens plus convenables à la vie active & laborieuse que la nature leur demande ; & quand ces divers goûts viennent à s’altérer & se confondre, c’est une marque presque infaillible du mélange désordonné des sexes. En effet, j’ai remarqué qu’en France, où les femmes vivent sans cesse avec les hommes, elles ont tout-à-fait perdu le goût du laitage, les hommes beaucoup celui du vin ; & qu’en Angleterre, où les deux sexes sont moins confondus, leur goût propre s’est mieux conservé. En général, je pense qu’on pourroit souvent trouver quelque indice du caractere des gens dans le choix des alimens qu’ils préferent. Les Italiens, qui vivent beaucoup d’herbages, sont efféminés & mous. Vous autres Anglais, grands mangeurs de viande, avez dans vos inflexibles vertus quelque chose de dur & qui tient de la