Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/110

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ou la mort sont nos remèdes ; mais nous souffrons d’autant plus que nous savons moins souffrir ; & nous nous donnons plus de tourment pour guérir nos maladies, que nous n’en aurions à les supporter. Vis selon la nature, sois patient, & chasse les médecins ; tu n’éviteras pas la mort, mais tu ne la sentiras qu’une fois, tandis qu’ils la portent chaque jour dans ton imagination troublée, & que leur art mensonger, au lieu de prolonger tes jours, t’en ôte la jouissance. Je demanderai toujours quel vrai bien cet art a fait aux hommes. Quelques-unes de ceux qu’il guérit mourraient, il est vrai ; mais des millions qu’il tue resteraient en vie. Homme sensé, ne mets point à cette loterie, où trop de chances sont contre toi. Souffre, meurs ou guéris ; mais surtout vis jusqu’à ta dernière heure.

Tout n’est que folie & contradiction dans les institutions humaines. Nous nous inquiétons plus de notre vie a mesure qu’elle perd de son prix. Les vieillards la regrettent plus que les jeunes gens ; ils ne veulent pas perdre les apprêts qu’ils ont faits pour en jouir ; à soixante ans, il est bien cruel de mourir avant d’avoir commencé de vivre. On croit que l’homme a un vif amour pour sa conservation, et cela est vrai ; mais on ne voit pas que cet amour, tel que nous le sentons, est en grande partie l’ouvrage des hommes. Naturellement l’homme ne s’inquiète pour se conserver qu’autant que les moyens en sont en son pouvoir ; sitôt que ces moyens lui échappent, il se tranquillise & meurt sans se tourmenter inutilement. La première loi de la résignation nous vient de la nature. Les sauvages, ainsi que les bêtes,