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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/123

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pour être aimés & secourus, mais les a-t-elle faits pour être obéis & craints ? Leur a-t-elle donné un air imposant, un œil sévere, une voix rude & menaçante pour se faire redouter ? Je comprends que le rugissement d’un lion épouvante les animaux, & qu’ils tremblent en voyant sa terrible hure ; mais si jamais on vit un spectacle indécent, odieux, risible, c’est un corps de Magistrats, le Chef à la tête, en habit de cérémonie, prosternés devant un enfant au maillot, qu’ils haranguent en termes pompeux, & qui crie & bave pour toute réponse.

À considérer l’enfance en elle-même, y a-t-il au monde un être plus foible, plus misérable, plus à la merci de tout ce qui l’environne, qui ait si grand besoin de pitié, de soins, de protection qu’un enfant ? Ne semble-t-il pas qu’il ne montre une figure si douce & un air si touchant qu’afin que tout ce qui l’approche s’intéresse à sa foiblesse, & s’empresse à le secourir ? Qu’y a-t-il donc de plus choquant, de plus contraire à l’ordre, que de voir un enfant impérieux & mutin commander à tout ce qui l’entoure, & prendre impudemment le ton de maître avec ceux qui n’ont qu’à l’abandonner pour le faire périr ?

D’autre part, qui ne voit que la foiblesse du premier âge enchaîne les enfans de tant de manieres, qu’il est barbare d’ajouter à cet assujettissement celui de nos caprices, en leur ôtant une liberté si bornée, de laquelle ils peuvent si peu abuser, et dont il est peu utile à eux & à nous qu’on les prive ? S’il n’y a point d’objet si digne de risée qu’un enfant hautain, il n’y a point d’objet si digne de pitié qu’un enfant