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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/194

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chambre, & m’appelle. Je me leve, j’allume la chandelle ; il n’en vouloit pas davantage : au bout d’un quart d’heure le sommeil le gagne, & il se recouche, content de son épreuve. Deux jours après, il la réitère avec le même succès, & de ma part sans le moindre signe d’impatience. Comme il m’embrassoit en se recouchant, je lui dis très-posément : mon petit ami, cela va fort bien, mais n’y revenez plus. Ce mot excita sa curiosité, & dès le lendemain, voulant voir un peu comment j’oserois lui désobéir, il ne manqua pas de se relever à la même heure, & de m’appeller. Je lui demandai ce qu’il vouloit ? Il me dit qu’il ne pouvoit dormir. Tant-pis, repris-je, & je me tins coi. Il me pria d’allumer la chandelle : pourquoi faire ? & je me tins coi. Ce ton laconique commençoit à l’embarrasser. Il s’en fut à tâtons chercher le fusil, qu’il fit semblant de battre, & je ne pouvois m’empêcher de rire en l’entendant se donner des coups sur les doigts. Enfin, bien convaincu qu’il n’en viendroit pas à bout, il m’apporta le briquet à mon lit : je lui dis que je n’en avois que faire, & me tournai de l’autre côté. Alors il se mit à courir étourdiment par la chambre, criant, chantant, faisant beaucoup de bruit, se donnant à la table & aux chaises des coups, qu’il avoit grand soin de modérer, & dont il ne laissoit pas crier bien fort, espérant me causer de l’inquiétude. Tout cela ne prenoit point, & je vis que comptant sur de belles exhortations ou sur de la colere, il ne s’étoit nullement arrangé pour ce sang-froid.

Cependant, résolu de vaincre ma patience à force d’opi-