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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/273

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âge exerçant le sens, l’esprit, les forces qui se développent en lui de jour en jour, & dont il donne à chaque instant de nouveaux indices : je le contemple enfant, & il me plait ; je l’imagine homme, & il me plait davantage ; son sang ardent semble réchauffer le mien ; je crois vivre de sa vie, & sa vivacité me rajeunit.

L’heure sonne, quel changement ! À l’instant son œil se ternit, sa gaieté s’efface, adieu la joie, adieu les folâtres jeux. Un homme sévere & fâché le prend par la main, lui dit gravement, allons Monsieur, & l’emmene. Dans la chambre ou ils entrent j’entrevois des livres. Des livres ! quel triste ameublement pour son âge ! le pauvre enfant se laisse entraîner, tourne un œil de regret sur tout ce qui l’environne, se tait, & part, les yeux gonflés de pleurs qu’il n’ose répandre, & le cœur gros de soupirs qu’il n’ose exhaler.

Ô toi qui n’as rien de pareil à craindre, toi pour qui nul tems de la vie n’est un tems de gêne & d’ennui, toi qui vois venir le jour sans inquiétude, la nuit sans impatience, & ne comptes les heures, que par tes plaisirs, viens mon heureux, mon aimable Éleve, nous consoler par ta présence du départ de cet infortuné, viens… il arrive, & je sens à son approche un mouvement de joie que je lui vois partager. C’est son ami, son camarade, c’est le compagnon de ses jeux qu’il aborde ; il est bien sûr en me voyant qu’il ne restera pas long-tems sans amusement ; nous ne dépendons jamais l’un de l’autre, mais nous nous accordons toujours, & nous ne sommes avec personne aussi bien qu’ensemble.