Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/289

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Quel écart ! dira-t-on peut-être. Tout à l’heure nous n’étions occupes que de ce qui nous touche, de ce qui nous entoure immédiatement ; tout à coup nous voilà parcourant le globe & sautant aux extrémités de l’univers ! Cet écart est l’effet du progrès de nos forces & de la pente de notre esprit. Dans l’état de faiblesse et d’insuffisance le soin de nous conserver nous concentre au dedans de nous ; dans l’état de puissance & de force, le désir d’étendre notre être nous porte au delà, et nous fait élancer aussi loin qu’il nous est possible ; mais, comme le monde intellectuel nous est encore inconnu, notre pensée ne va pas plus loin que nos yeux, & notre entendement ne s’étend qu’avec l’espace qu’il mesure.

Transformons nos sensations en idées, mais ne sautons pas tout d’un coup des objets sensibles aux objets intellectuels. C’est par les premiers que nous devons arriver aux autres. Dans les premières opérations de l’esprit, que les sens soient toujours ses guides : point d’autre livre que le monde, point d’autre instruction que les faits. L’enfant qui lit ne pense pas, il ne fait que lire ; il ne s’instruit pas, il apprend des mots.

Rendez votre Eleve attentif aux phénomènes de la nature, bientôt vous le rendrez curieux ; mais, pour nourrir sa curiosité, ne vous pressez jamais de la satisfaire. Mettez les questions à sa portée, & laissez-les lui résoudre. Qu’il ne sache rien parce que vous le lui avez dit, mais parce qu’il l’a compris lui-même ; qu’il n’apprenne pas la science, qu’il l’invente. Si jamais vous substituez dans son esprit l’autorité à la