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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/291

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qui semble pénétrer jusqu’à l’ame. Il y a là un quart-d’heure d’enchantement auquel nul homme ne résiste : un spectacle si grand, si beau, si délicieux n’en laisse aucun de sang-froid.

Plein de l’enthousiasme qu’il éprouve, le maître veut le communiquer à l’enfant : il croit l’émouvoir, en le rendant attentif aux sensations dont il est ému lui-même. Pure bêtise ! C’est dans le cœur de l’homme qu’est la vie du spectacle de la Nature ; pour le voir il faut le sentir. L’enfant apperçoit les objets ; mais il ne peut appercevoir les rapports qui les lient, il ne peut entendre la douce harmonie de leur concert. Il faut une expérience qu’il n’a point acquise, il faut des sentimens qu’il n’a point éprouvés, pour sentir l’impression composée qui résulte à la fois de toutes ces sensations. S’il n’a long-tems parcouru des plaines arides, si des sables ardens n’ont brûlé ses pieds, si la réverbération suffocante des rochers frappés du soleil ne l’oppressa jamais, comment goûtera-t-il l’air frais d’une belle matinée ? comment le parfum des fleurs, le charme de la verdure, l’humide vapeur de la rosée, le marcher mol & doux sur la pelouse, enchanteront-ils ses sens ? Comment le chant des oiseaux lui causera-t-il une émotion voluptueuse, si les accens de l’amour & du plaisir lui sont encore inconnus ? Avec quels transports verra-t-il naître une si belle journée, si son imagination ne sait pas lui peindre ceux dont on peut la remplir ? Enfin comment s’attendrira-t-il sur la beauté du spectacle de la Nature, s’il ignore quelle main prit soin de l’orner ?

Ne tenez point à l’enfant des discours qu’il ne peut enten-