Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/331

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Vous voyez que jusqu’ici je n l’ai point parlé des hommes à mon élève, il aurait eu trop de bon sens pour m’entendre ; ses relations avec son espèce ne lui sont pas encore assez sensibles pour qu’il puisse juger des autres par lui. Il ne connaît d’être humain que lui seul, & même il est bien éloigné de se connaître ; mais s’il porte peu de jugements sur sa personne, au moins il n’en porte que de justes. Il ignore quelle est la place des autres, mais il sent la sienne & s’y tient. Au lieu des lois sociales qu’il ne peut connaître, nous l’avons lié des chaînes de la nécessité. Il n’est presque encore qu’un être physique, continuons de le traiter comme tel.

C’est par leur rapport sensible avec son utilité, sa sûreté, sa conservation, son bien-être, qu’il doit apprécier tous les corps de la nature & tous les travaux des hommes. Ainsi le fer doit être à ses yeux d’un beaucoup plus grand prix que l’or, et le verre que le diamant ; de même, il honore beaucoup plus un cordonnier, un maçon, qu’un Lempereur, un Le Blanc, & tous les joailliers de l’Europe ; un pâtissier est surtout à ses yeux un homme très important, & il donneroit toute l’académie des sciences pour le moindre confiseur de la rue des Lombards. Les orfèvres, les graveurs, les doreurs, les brodeurs, ne sont à son avis que des fainéants qui s’amusent à des jeux parfaitement inutiles ; il ne fait pas même un grand cas de l’horlogerie. L’heureux enfant jouit du tems sans en être esclave : il en profite & n’en connoît pas le prix. Le calme des passions qui rend pour lui la succession toujours égale lui tient lieu d’instrument pour le