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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/35

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capables de nuire à la bonne conformation de leurs membres. C’est là un de ces vains raisonnemens de notre fausse sagesse, & que jamais aucune expérience n’a confirmés. De cette multitude d’enfans qui, chez des peuples plus sensés que nous, sont nourris dans toute la liberté de leurs membres, on n’en voit pas un seul qui se blesse ni s’estropie ; ils ne sauroient donner à leurs mouvemens la force qui peut les rendre dangereux, & quand ils prennent une situation violente, la douleur les avertit bientôt d’en changer.

Nous ne nous sommes pas encore avisés de mettre au maillot les petits des chiens, ni des chats ; voit-on qu’il résulte pour eux quelque inconvénient de cette négligence ? Les enfans sont plus lourds ; d’accord : mais à proportion ils sont aussi plus foibles. À peine peuvent-ils se mouvoir ; comment s’estropieroient-ils ? Si on les étendoit sur le dos, ils mourroient dans cette situation, comme la tortue, sans pouvoir jamais se retourner.

Non contentes d’avoir cessé d’alaiter leurs enfans, les femmes cessent d’en vouloir faire ; la conséquence est naturelle. Dès que l’état de mere est onéreux, on trouve bientôt le moyen de s’en délivrer tout-à-fait : on veut faire un ouvrage inutile, afin de le recommencer toujours, & l’on tourne au préjudice de l’espece, l’attrait donné pour la multiplier. Cet usage, ajouté aux autres causes de dépopulation, nous annonce le sort prochain de l’Europe. Les sciences, les arts, la philosophie & les mœurs qu’elle engendre, ne tarderont pas d’en faire un désert. Elle sera