Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/36

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peuplée de bêtes féroces : elle n’aura pas beaucoup change d’habitants.

J’ai vu quelquefois le petit manège des jeunes femmes qui feignent de vouloir nourrir leurs enfants. On soit se faire presser de renoncer à cette fantaisie on fait adroitement intervenir les époux, les Médecins, sur-tout les meres. Un mari qui oseroit consentir que sa femme nourrit son enfant seroit un homme perdu ; l’on en feroit un assassin qui veut se défaire d’elle. Maris prudents, il faut immoler qui paix l’amour paternel. Heureux qu’on trouve à la campagne des femmes plus continentes que les vôtres ! Plus heureux si le temps que celles-ci gagnent n’est pas destine pour d’autres que vous.

Le devoir des femmes n’est pas douteux : mais on dispute si, dans le mépris qu’elles en font, il est égal pour les enfans d’être nourris de leur lait ou d’un autre. Je tiens question, dont les médecins sont les juges, pour cette décidée au souhoit des femmes ; & pour moi, je penserois bien aussi qu’il vaut mieux que l’enfant suce le lait d’une nourrice en santé, que d’une mere gâtée, s’il avoit à craindre du même sang dont il quelque nouveau mal est formé.

Mais la question doit-elle s’envisager seulement par le côté physique ? Et l’enfant a-t-il moins besoin des soins d’une mere que de sa mamelle ? D’autres femmes, des bêtes même, pourront lui donner le lait qu’elle lui refuse : la sollicitude maternelle ne se supplée point. Celle qui nourrit l’enfant d’une autre au lieu du sien est une mauvaise mere : comment sera-t-elle une bonne nourrice ? Elle pourra le