Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/354

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talent naturel de l’art qu’ils exercent, & dans lequel on les a pousses dès leur bas âge, soit déterminé par d’autres convenances, suit trompé par un zèle apparent qui les eût portés de même vers tout autre art, s’ils l’avoient vu pratiquer aussitôt. Tel entend un tambour & se croit général ; tel voit bâtir & veut être architecte. Chacun est tenté du métier qu’il voit faire, quand il le croit estimé.

J’ai connu un laquais qui, voyant peindre & dessiner son maître, se mit dans la tête d’être peintre & dessinateur. l’instant qu’il eut formé cette résolution, il prit le crayon, qu’il n’a plus quitte que pour reprendre le pinceau qu’il ne quittera de sa vie. Sans leçons & sans règles, il se mit à dessiner tout ce qui lui tomboit sous la main. Il passa trois ans entiers collé sur ses barbouillages, sans que jamais rien pût l’en arracher que son service, & sans jamais se rebuter du peu de progrès que de médiocres dispositions lui laissoient faire. Je l’ai vu durant six mois d’un été très ardent, dans une petite antichambre au midi, où l’on suffoquoit au passage, assis, ou plutôt cloué tout le jour sur sa chaise, devant un globe, dessiner ce globe, le redessiner, commencer & recommencer sans cesse avec ce qu’il eût rendu la une invincible obstination, jusqu’à ce qu’il eut rendu la rondebosse assez bien pour être content de son travail. Enfin, favorisé de son maître & guidé par un artiste, il est parvenu au point de quitter la livrée & de vivre de son pinceau. jusqu’à certain terme la persévérance supplée au talent : il a atteint ce terme & ne le passera jamais. La constance & l’émulation de cet honnête garçon sont louables. Il se fera toujours estimer par son