Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/37

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devenir, mais lentement ; il faudra que l’habitude change la nature : et l’enfant mal soigné aura le temps de périr cent fois avant que sa nourrice ait pris pour lui une tendresse de mère.

De cet avantage même résulte un inconvénient qui seul devroit ôter à toute femme sensible le courage le faire nourrit son enfant par une autre, c’est celui de partager le droit de mère, ou plutôt de l’aliéner ; de voir son enfant aimer une autre femme autant & plus qu’elle ; de sentir que la tendresse qu’il conserve pour sa propre mere est une grâce, & que celle qu’il a pour sa mere adoptive est un devoir : car, où je ai trouvé les soins d’une mère, ne dois-je pas l’attachement d’un, fils ?

La manière dont on remédie à cet inconvénient est d’inspirer aux enfans du mépris pour leurs nourrices en les traitant en véritables servantes. Quand leur service est achevé on retire l’enfant, ou l’on congédie la nourrice ; à force de la mal recevoir, on la rebute de venir voir son nourrisson. Au bout de quelques années il ne la voit plus, il ne la connoit plus. La mère, qui croit se substituer à elle & réparer sa négligence par sa cruauté, se trompe. Au lieu de faire un tendre fils d’un nourrisson dénaturé, elle l’exerce à l’ingratitude ; elle lui apprend à mépriser un jour celle qui lui donna la vie, comme celle qui l’a nourri de son lait.

Combien j’insisterois sur ce point, s’il étoit moins décourageant de rebattre en vain Ses sujets utiles ! Ceci tient à de choses qu’on ne pense. Voulez-vous rendre chacun à ses premiers devoirs ? Commencez par les mères ; il vous serez