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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/368

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qui tend le plus à simplifier nos expériences, & à pouvoir même nous en passer sans tomber dans l’erreur. D’ou il suit qu’après avoir long-tems vérifié les rapports des sens l’un par l’autre, il faut encore apprendre à vérifier les rapports de chaque sens par lui-même, sans avoir besoin de recourir à un autre sens ; alors chaque sensation deviendra pour nous une idée, cette idée sera toujours conforme à la vérité. Telle est la sorte d’acquis dont j’ai tâché de remplit ce troisieme âge de la vie humaine.

Cette maniere de procéder exige une patience & une circonspection dont peu de maîtres sont capables, & sans laquelle jamais le disciple n’apprendra à juger. Si, par exemple, lorsque celui-ci s’abuse sur l’apparence du bâton brisé, pour lui montrer son erreur vous vous pressez de tirer le bâton hors de l’eau, vous le détromperez peut-être ; mais que lui apprendrez-vous ? Rien que ce qu’il auroit bientôt appris de lui-même. Oh que ce n’est pas là ce qu’il faut faire ! Il s’agit moins de lui apprendre une vérité, que de lui montrer comment il faut s’y prendre pour découvrir toujours la vérité. Pour mieux l’instruire, il ne faut pas le détromper sitôt. Prenons Émile & moi pour exemple.

Premierement, à la seconde des deux questions supposées, tout enfant élevé à l’ordinaire ne manquera pas de répondre affirmativement. C’est surement, dira-t-il, un bâton brisé. Je doute fort qu’Émile me fasse la même réponse. Ne voyant point la nécessité d’être savant ni de le paroître, il n’est jamais pressé de juger ; il ne juge que sur l’évidence ; & il est bien éloigné de la trouver dans cette occasion, lui qui sait