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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/370

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bout voisin de notre œil nous cache exactement l’autre bout [1]. Notre œil a-t-il redressé le bâton.

3o. Nous agitons la surface de l’eau, nous voyons le bâton se plier en plusieurs pieces, se mouvoir en zigzag, & suivre les ondulations de l’eau. Le mouvement que nous donnons à cette eau suffit-il pour briser, amollir, & fondre ainsi le bâton ?

4o. Nous faisons écouler l’eau, & nous voyons le bâton se redresser peu-à-peu à mesure que l’eau baisse. N’en voilà-t-il pas plus qu’il ne faut pour éclaircir le fait & trouver la réfraction ? Il n’est donc pas vrai que la vue nous trompe, puisque nous n’avons besoin que d’elle seule pour rectifier les erreurs que nous lui attribuons.

Supposons l’enfant assez stupide pour ne pas sentir le résultat de ces expériences ; c’est alors qu’il faut appeller le toucher au secours de la vue. Au lieu de tirer le bâton hors de l’eau, laissez-le dans sa situation, & que l’enfant y passe la main d’un bout à l’autre, il ne sentira point d’angle : le bâton n’est donc pas brisé.

Vous me direz qu’il n’y a pas seulement ici des jugemens ; mais des raisonnemens en forme. Il est vrai ; mais ne voyez-vous pas que sitôt que l’esprit est parvenu jusqu’aux idées, tout jugement est un raisonnement. La conscience de toute sensation est une proposition, un jugement. Donc sitôt que

  1. (*) J’ai depuis trouvé le contraire par une expérience plus exacte. La réfraction agit circulairement, & le bâton paroit plus gros par le bout qui est dans l’eau que par l’autre ; mais cela ne change rien à la force du raisonnement, & la conséquence n’en est pas moins juste.