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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/371

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l’on compare une sensation à une autre, on raisonne. L’art de juger & l’art de raisonner, sont exactement le même.

Émile ne saura jamais la dioptrique, ou je veux qu’il l’apprenne autour de ce bâton. Il n’aura point disséqué d’insectes ; il n’aura point compté les taches du soleil ; il ne saura ce que c’est qu’un microscope & un télescope. Vos doctes Éleves se moqueront de son ignorance. Ils n’auront pas tort ; car avant de se servir de ces instrumens, j’entends qu’il les invente, & vous vous doutez bien que cela ne viendra pas sitôt.

Voilà l’esprit de toute ma méthode dans cette partie. Si l’enfant fait rouler une petite boule entre deux doigts croisés, & qu’il croye sentir deux boules, je ne lui permettrai point d’y regarder, qu’auparavant il ne soit convaincu qu’il n’y en a qu’une.

Ces éclaircissemens suffiront, je pense, pour marquer nettement le progrès qu’a fait jusqu’ici l’esprit de mon Éleve, & la route par laquelle il a suivi ce progrès. Mais vous êtes effrayés, peut-être, de la quantité des choses que j’ai fait passer devant lui. Vous craignez que je n’accable son esprit sous ses multitudes de connoissances. C’est tout le contraire ; je lui apprends bien plus à les ignorer qu’à les savoir. Je lui montre la route de la science aisée, à la vérité ; mais longue, immense, lente à parcourir. Je lui fais faire les premiers pas pour qu’il reconnoisse l’entrée ; mais je ne lui permets jamais d’aller loin.

Forcé d’apprendre de lui-même, il use de sa raison & non de celle d’autrui ; car pour ne rien donner à l’opinion, il