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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/406

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que sous un autre langage ils ont autant d’esprit & plus de bon sens que vous. Respectez donc votre espece ; songez qu’elle est composée essentiellement de la collection des peuples, que quand tous les Rois & tous les Philosophes en seroient ôtés, il n’y paroîtroit gueres, & que les choses n’en iroient pas plus mal. En un mot, apprenez à votre Éleve à aimer tous les hommes & même ceux qui les déprisent ; faites en sorte qu’il ne se place dans aucune classe, mais qu’il se retrouve dans toutes : parlez devant lui du genre humain avec attendrissement, avec pitié même, mais jamais avec mépris. Homme, ne déshonore point l’homme.

C’est par ces routes & d’autres semblables, bien contraires à celles qui sont frayées, qu’il convient de pénétrer dans le cœur d’un jeune adolescent pour y exciter les premiers mouvemens de la Nature, le développer & l’étendre sur ses semblables ; à quoi j’ajoute qu’il importe de mêler à ces mouvemens le moins d’intérêt personnel qu’il est possible ; sur-tout point de vanité, point d’émulation, point de gloire, point de ces sentimens qui nous forcent de nous comparer aux autres ; car ces comparaisons ne se font jamais sans quelque impression de haine contre ceux qui nous disputent la préférence, ne fût-ce que dans notre propre estime. Alors il faut s’aveugler ou s’irriter, être un méchant ou un sot ; tâchons d’éviter cette alternative. Ces passions si dangereuses naîtront tôt ou tard, me dit-on, malgré nous. Je ne le nie pas ; chaque chose a son tems & son lieu ; je dis seulement qu’on ne doit pas leur aider à naître.

Voilà l’esprit de la méthode qu’il faut se prescrire. Ici les