Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/407

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exemples & les détails sont inutiles, parce qu’ici commence la division presque infinie des caractères, et que chaque exemple que je donnerois ne conviendroit pas peut-être à un sur cent mille. C’est à cet âge aussi que commence, dans l’habile maître, la véritable fonction de l’observateur & du philosophe, qui sait l’art de sonder les cœurs en travaillant à les former. Tandis que le jeune homme ne songe point encore à se contrefaire, & ne l’a point encore appris, à chaque objet qu’on lui présente on voit dans son air, dans ses yeux, dans son geste, l’impression qu’il en reçoit : on lit sur son visage tous les mouvements de son âme ; à force de les épier, on parvient à les prévoir, & enfin à les diriger.

On remarque en général que le sang, les blessures, les cris, les gémissements, l’appareil des opérations douloureuses, & tout ce qui porte aux sens des objets de souffrance, saisit plus tôt & plus généralement tous les hommes. L’idée de destruction, étant plus composée, ne frappe pas de même ; l’image de la mort touche plus tard & plus faiblement, parce que nul n’a par devers soi l’expérience de mourir : il faut avoir vu des cadavres pour sentir les angoisses des agonisants. Mais quand une fois cette image s’est bien formée dans notre esprit, il n’y a point de spectacle plus horrible à nos yeux, soit à cause de l’idée de destruction totale qu’elle donne alors par les sens, soit parce que, sachant que ce moment est inévitable pour tous les hommes, on se sent plus vivement affecté d’une situation à laquelle on est sûr de ne pouvoir échapper.