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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/408

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Ces impressions diverses ont leurs modifications, leurs degrés qui dépendent du caractere particulier de chaque individu & de ses habitudes antérieures ; mais elles sont universelles, & nul n’en est tout-à-fait exempt. Il en est de plus tardives & de moins générales, qui sont plus propres aux ames sensibles. Ce sont celles qu’on reçoit des peines morales, des douleurs internes, des afflictions, des langueurs, de la tristesse. Il y a des gens qui ne savent être émus que par des cris & des pleurs ; les longs & sourds gémissemens d’un cœur serré de détresse ne leur ont jamais arraché des soupirs ; jamais l’aspect d’une contenance abattue, d’un visage hâve et plombé, d’un œil éteint & qui ne peut plus pleurer, ne les fit pleurer eux-mêmes ; les maux de l’ame ne sont rien pour eux ; ils sont jugés, la leur ne sent rien : n’attendez d’eux que rigueur inflexible, endurcissement, cruauté. Ils pourront être integres & justes, jamais clémens, généreux, pitoyables. Je dis qu’ils pourront être justes, si toutefois un homme peut l’être quand il n’est pas miséricordieux.

Mais ne vous pressez pas de juger les jeunes gens par cette regle, sur-tout ceux qui, ayant été élevés comme ils doivent l’être, n’ont aucune idée des peines morales qu’on ne leur a jamais fait éprouver : car encore une fois, ils ne peuvent plaindre que les maux qu’ils connoissent ; & cette apparente insensibilité, qui ne vient que d’ignorance, se change bientôt en attendrissement, quand ils commencent à sentir qu’il y a dans la vie humaine mille douleurs qu’ils ne connoissoient pas. Pour mon Émile, s’il a eu de la simplicité &