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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/409

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du bon sens dans son enfance, je suis bien sûr qu’il aura de l’ame & de la sensibilité dans sa jeunesse ; car la vérité des sentimens tient beaucoup à la justesse des idées.

Mais pourquoi le rappeller ici ? Plus d’un Lecteur me reprochera, sans doute, l’oubli de mes premieres résolutions, & du bonheur constant que j’avois promis à mon Éleve. Des malheureux, des mourans, des spectacles de douleur & de misere ! Quel bonheur ! quelle jouissance pour un jeune cœur qui naît à la vie ! Son triste instituteur qui lui destinoit une éducation si douce, ne le fait naître que pour souffrir. Voilà ce qu’on dira : Que m’importe ? j’ai promis de le rendre heureux, non de faire qu’il parût l’être. Est-ce ma faute, si toujours dupes de l’apparence, vous la prenez pour la réalité ?

Prenons deux jeunes gens sortant de la premiere éducation, & entrant dans le monde par deux portes directement opposées. L’un monte tout-à-coup sur l’Olympe, & se répand dans la plus brillante société. On le mene à la Cour, chez les Grands, chez les riches, chez les jolies femmes. Je le suppose fêté par-tout, & je n’examine pas l’effet de cet accueil sur sa raison ; je suppose qu’elle y résiste. Les plaisirs volent au-devant de lui, tous les jours de nouveaux objets l’amusent, il se livre à tout avec un intérêt qui vous séduit. Vous le voyez attentif, empressé, curieux ; sa premiere admiration vous frappe ; vous l’estimez content, mais voyez l’état de son ame : vous croyez qu’il jouit ; moi je crois qu’il souffre.

Qu’apperçoit-il d’abord en ouvrant les yeux ? Des multitudes de prétendus biens qu’il ne connoissoit pas, & dont