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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/410

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la plupart n’étant qu’un moment à sa portée, ne semblent se montrer à lui que pour lui donner le regret d’en être privé. Se promène-t-il dans un Palais ? Vous voyez à son inquiete curiosité qu’il se demande pourquoi sa maison paternelle n’est pas ainsi. Toutes ses questions vous disent qu’il se compare sans cesse au maître de cette maison ; & tout ce qu’il trouve de mortifiant pour lui dans ce parallele, aiguise sa vanité en la révoltant. S’il rencontre un jeune homme mieux mis que lui, je le vois murmurer en secret contre l’avarice de ses parens. Est-il plus paré qu’un autre ? Il a la douleur de voir cet autre l’effacer ou par sa naissance ou par son esprit, & toute sa dorure humiliée devant un simple habit de drap. Brille-t-il seul dans une assemblée ? s’éleve-t-il sur la pointe du pied pour être mieux vu ? Qui est-ce qui n’a pas une disposition secrete à rabaisser l’air superbe & vain d’un jeune fat ? Tout s’unit bientôt comme de concert ; les regards inquiétans d’un homme grave, les mots railleurs d’un caustique ne tardent pas d’arriver jusqu’à lui ; & ne fût-il dédaigné que d’un seul homme, le mépris de cet homme empoisonne à l’instant les applaudissemens des autres.

Donnons-lui tout ; prodiguons-lui les agrémens, le mérite ; qu’il soit bien fait, plein d’esprit, aimable ; il sera recherché des femmes ; mais en le recherchant avant qu’il les aime, elles le rendront plutôt fou qu’amoureux ; il aura de bonnes fortunes, mais il n’aura ni transports ni passion pour les goûter. Ses desirs, toujours prévenus, n’ayant jamais le tems de naître, au sein des plaisirs il ne sent que l’ennui de la