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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/91

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le babil de sa nourrice. Il me semble que ce seroit l’instruire fort utilement que de l’élever à n’y rien comprendre.

Les réflexions naissent en foule quand on veut s’occuper de la formation du langage & des premiers discours des enfans. Quoi qu’on fasse, ils apprendront toujours à parler de la même maniere, & toutes les spéculations philosophiques sont ici de la plus grande inutilité.

D’abord ils ont, pour ainsi dire, une grammaire de leur âge, dont la syntaxe a des regles plus générales que la nôtre ; & si l’on y faisoit bien attention, l’on seroit étonné de l’exactitude avec laquelle ils suivent certaines analogies, très-vicieuses si l’on veut, mais très-régulieres, & qui ne sont choquantes que par leur dureté ou parce que l’usage ne les admet pas. Je viens d’entendre un pauvre enfant bien grondé par son pere pour lui avoir dit : mon pere, irai-je-t-y ? Or, on voit que cet enfant suivoit mieux l’analogie que nos Grammairiens ; car puisqu’on lui disoit, vas-y, pourquoi n’auroit-il pas dit, irai-je-t-y ? Remarquez de plus, avec quelle adresse il évitoit l’hiatus de irai-je-y, ou, y irai-je ? Est-ce la faute du pauvre enfant si nous avons mal-à-propos ôté de la phrase cet adverbe déterminant, y, parce que nous n’en savions que faire ? C’est une pédanterie insupportable & un soin des plus superflus de s’attacher à corriger dans les enfans toutes ces petites fautes contre l’usage, desquelles ils ne manquent jamais de se corriger d’eux-mêmes avec le tems. Parlez toujours correctement devant eux, faites qu’ils ne