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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/106

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employé son tems, le mieux usé de sa raison, vécu le plus d’années, saura-t-il dans sa vieillesse à quoi s’en tenir, & ce sera beaucoup s’il apprend avant sa mort dans quel culte il auroit dû vivre.

Voulez-vous mitiger cette méthode, & donner la moindre prise à l’autorité des hommes ? À l’instant vous lui rendez tout ; & si le fils d’un Chrétien fait bien de suivre, sans un examen profond & impartial, la religion de son pere, pourquoi le fils d’un Turc ferait-il mal de suivre de même la religion du sien ? Je défie tous les intolérans du monde de répondre à cela rien qui contente un homme sensé.

Pressés par ces raisons, les uns aiment mieux faire Dieu injuste, & punir les innocens du péché de leur pere, que de renoncer à leur barbare dogme. Les autres se tirent d’affaire en envoyant obligeamment un Ange instruire quiconque, dans une ignorance invincible, auroit vécu moralement bien. La belle invention que cet Ange ! Non contens de nous asservir à leurs machines, ils mettent Dieu lui-même dans la nécessité d’en employer.

Voyez, mon fils, à quelle absurdité menent l’orgueil & l’intolérance, quand chacun veut abonder dans son sens, & croire avoir raison exclusivement au reste du genre humain. Je prends à témoin ce Dieu de paix que j’adore & que je vous annonce, que toutes mes recherches ont été sinceres ; mais voyant qu’elles étoient, qu’elles seroient toujours sans succès, & que je m’abymois dans un océan sans rives, je suis revenu sur mes pas, & j’ai resserré ma foi dans mes notions primitives. Je n’ai jamais pu croire que Dieu m’or-