Aller au contenu

Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/172

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

on les lui pardonnera encore en disant : il est fait ainsi.

Il ne sera point fêté comme un homme aimable, mais on l’aimera sans savoir pourquoi ; personne ne vantera son esprit, mais on le prendra volontiers pour juge entre les gens d’esprit ; le sien sera net & borné, il aura le sens droit, & le jugement sain. Ne courant jamais après les idées neuves, il ne sauroit se piquer d’esprit. Je lui ai fait sentir que toutes les idées salutaires & vraiment utiles aux hommes ont été les premieres connues, qu’elles font de tout tems les seuls vrais liens de la société, & qu’il ne reste aux esprits transcendans qu’à se distinguer par des idées pernicieuses & funestes au genre humain. Cette maniere de se faire admirer ne le touche gueres : il sait où il doit trouver le bonheur de sa vie, & en quoi il peut contribuer au bonheur d’autrui. La sphere de ses connoissances ne s’étend pas plus loin que ce qui est profitable. Sa route est étroite & bien marquée ; n’étant point tenté d’en sortir, il reste confondu avec ceux qui la suivent, il ne veut ni s’égarer, ni briller. Émile est un homme de bon sens, & ne veut pas être autre chose : on aura beau vouloir l’injurier par ce titre, il s’en tiendra toujours honoré.

Quoique le desir de plaire ne le laisse plus absolument indifférent sur l’opinion d’autrui, il ne prendra de cette opinion que ce qui se rapporte immédiatement à sa personne, sans se soucier des appréciations arbitraires, qui n’ont de loi que la mode ou les préjugés. Il aura l’orgueil de vouloir bien faire tout ce qu’il fait, même de le vouloir faire mieux qu’un autre. À la course il voudra être le plus léger, à la lutte le