Aller au contenu

Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/174

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

y ait plus de gens de goût que d’autres ; car bien que la pluralité juge sainement de chaque objet, il y a peu d’hommes qui jugent comme elle sur tous ; & bien que le concours des goûts les plus généraux fasse le bon goût, il y a peu de gens de goût ; de même qu’il y a peu de belles personnes, quoique l’assemblage des traits les plus communs fasse la beauté.

Il faut remarquer qu’il ne s’agit pas ici de ce qu’on aime parce qu’il nous est utile, ni de ce qu’on hait parce qu’il nous nuit. Le goût ne s’exerce que sur les choses indifférentes, ou d’un intérêt d’amusement, tout au plus, & non sur celles qui tiennent à nos besoins ; pour juger de celles-ci, le goût n’est pas nécessaire, le seul appétit suffit. Voilà ce qui rend si difficiles, & ce semble si arbitraires, les pures décisions du goût ; car hors l’instinct qui le détermine, on ne voit plus la raison de ces décisions. On doit distinguer encore ses loix dans les choses morales, & ses loix dans les choses physiques. Dans celles-ci, les principes du goût semblent absolument inexplicables ; mais il importe d’observer qu’il entre du moral dans tout ce qui tient à l’imitation [1] : ainsi l’on explique des beautés qui paroissent physiques, & qui ne le sont réellement point. J’ajouterai que le goût a des regles locales, qui le rendent en mille choses dépendant des climats, des mœurs, du gouvernement, des choses d’institution ; qu’il en a d’autres qui tien-

  1. (47) Cela est prouvé dans un essai sur l’origine des langues, qu’on trouvera dans le recueil de mes écrits.