Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/511

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pour suivre toujours la même direction je m’embarque pour Naples ; il s’agit de payer mon passage ; vous y aviez pourvu en me faisant apprendre la manœuvre : elle n’est pas plus difficile sur la Méditerranée que sur l’Océan, quelques mots changés en font toute la différence. Je me fais matelot. Le Capitaine du bâtiment, espece de Patron renforcé, étoit un renégat qui s’étoit rapatrié. Il avoir été pris depuis lors par les Corsaires, & disoit s’être échappe de leurs mains sans avoir été reconnu. Des machands Napolitains lui avoient confié un autre vaisseau & il faisoit sa seconde couse depuis ce rétablissement. Il contoit sa vie à qui vouloit l’entendre, & savoit si bien se faire valoir qu’en amusant il donnoit de la confiance. Ses goûts étoient aussi bizarres que ses aventures. Il ne songeoit qu’a divertir son équipage : il avoit sur son bord deux méchons pierriers qu’il tirailloit tout le jour ; toute la nuit il tiroit des fusées ; on n’a jamais vu Patron de navire aux gai.

Pour moi, je m’amusois à m’exercer dans la marine, & quand je n’étois pas de quart, je n’en demeurois pas moins à la manœuvre ou au gouvernail. L’attention me tenoit lieu d’expérience, & je ne tardai pas à juger que nous derivions beaucoup à l’ouest. Le compas étoit pourtant au rumb convenable ; mais le cours du soleil & des étoiles sembloit contrarier si fort sa direction qu’il faloit, selon moi, que l’aiguille déclinât prodigieusement. Je le dis au Capitaine ; il battit la campagne en se moquant de moi, & comme la mer devint haute, & le tems nébuleux, il ne nie fut pas possible de vérifier mes observations. Nous eûmes un veut