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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/55

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Dieu, dit-on, ne doit rien à ses créatures ; je crois qu’il leur doit tout ce qu’il leur promit en leur donnant l’être. Or c’est leur promettre un bien, que de leur en donner l’idée & de leur en faire sentir le besoin. Plus je rentre en moi, plus je me consulte, & plus je lis ces mots écrits dans mon ame ; sois juste & tu seras heureux. Il n’en est rien pourtant, à considérer l’état présent des choses ; le méchant prospere, & le juste reste opprimé. Voyez aussi quelle indignation s’allume en nous quand cette attente est frustrée ! La conscience s’éleve & murmure contre son Auteur ; elle lui crie en gémissant : tu m’as trompé !

Je t’ai trompé, téméraire ! & qui te l’a dit ? Ton ame est-elle anéantie ? As-tu cessé d’exister ? Ô Brutus ! ô mon fils ! ne souille point ta noble vie en la finissant : ne laisse point ton espoir & ta gloire avec ton corps aux champs de Philippes. Pourquoi dis-tu : la vertu n’est rien, quand tu vas jouir du prix de la tienne ? Tu vas mourir, penses-tu ; non, tu vas vivre, & c est alors que je tiendrai tout ce que je t’ai promis.

On diroit, aux murmures des impatiens mortels, que Dieu leur doit la récompense avant le mérite, & qu’il est obligé de payer leur vertu d’avance. Oh ! soyons bons premierement, & puis nous serons heureux. N’exigeons pas le prix avant la victoire, ni le salaire avant le travail. Ce n’est point dans la lice, disoit Plutarque, que les vainqueurs de nos jeux sacrés sont couronnés, c’est après qu’ils l’ont parcourue.

Si l’ame est immatérielle, elle peut survivre au corps ; & si elle lui survit la Providence est justifiée. Quand je n’aurois d’autre preuve de l’immatérialité de l’ame, que le