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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/57

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s’use & se détruit par la division des parties, mais je ne puis concevoir une destruction pareille de l’être pensant ; & n’imaginant point comment il peut mourir, je présume qu’il ne meurt pas. Puisque cette présomption me console, & n’a rien de déraisonnable, pourquoi craindrois-je de m’y livrer ?

Je sens mon ame, je la connois par le sentiment & par la pensée ; je sais qu’elle est, sans savoir quelle est son essence ; je ne puis raisonner sur des idées que je n’ai pas. Ce que je sais bien, c’est que l’identité du moi ne se prolonge que par la mémoire, & que pour être le même en effet, il faut que je me souvienne d’avoir été. Or, je ne saurois me rappeller après ma mort ce que j’ai été durant ma vie, que je ne me rappelle aussi ce que j’ai senti, par conséquent ce que j’ai fait ; & je ne doute point que ce souvenir ne fasse un jour la félicité des bons & le tourment des méchans. Ici bas mille passions ardentes absorbent le sentiment interne, & donnent le change aux remords. Les humiliations, les disgraces, qu’attire l’exercice des vertus, empêchent d’en sentir tous les charmes. Mais quand, délivrés des illusions que nous font le corps & les sens, nous jouirons de la contemplation de l’Être suprême & des vérités éternelles dont il est la source, quand la beauté de l’ordre frappera toutes les puissances de notre ame, & que nous serons uniquement occupés à comparer ce que nous avons fait avec ce que nous avons dû faire, c’est alors que la voix de la conscience reprendra sa force & son empire, c’est alors que la volupté pure qui naît du contentement de soi-même, & le regret amer de s’être avili, distingueront par des sentimens inépuisables le sort que chacun se sera préparé. Ne me deman-