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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/84

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cusent mutuellement de mensonge & d’erreur ; je demandois quelle est la bonne ? Chacun me répondoit, c’est la mienne ; chacun disoit, moi seul & mes partisans pensons juste, tous les autres sont dans l’erreur. Et comment savez-vous que votre secte est la bonne ? Parce que Dieu l’a dit [1]. Et qui vous dit que Dieu l’a dit ? Mon Pasteur qui le sait bien. Mon Pasteur me dit d’ainsi croire, & ainsi je crois ; il m’assure que tous ceux qui disent autrement que lui mentent, & je ne les écoute pas.

Quoi, pensois-je, la vérité n’est-elle pas une, & ce qui est vrai chez moi peut-il être faux chez vous ? Si la méthode de celui qui suit la bonne route & celle de celui qui s’égare est la même, quel mérite ou quel tort a l’un de plus que l’autre ? Leur choix est l’effet du hazard, le leur imputer est iniquité ; c’est récompenser ou punir, pour être né dans tel ou

  1. (34) Tous, dit un bon & sage Prêtre, disent qu’ils la tiennent & la croient, (& tous usent de ce jargon,) que non des hommes, ne d’aucune créature, ains de Dieu.

    Mais à dire vrai sans rien flatter ni déguiser, il n’en est rien, elles sont, quoi qu’on die, tenues par mains & moyens humains ; tesmoin premierement la maniere que les religions ont été reçues au monde & sont encore tous les jours par les particuliers : la nation, le pays, le lieu donne la Religion : l’on est de celle que le lieu auquel on est né & élevé tient : nous sommes circoncis, baptisés, Juifs, Mahométans, Chrestiens, avant que nous sachions que nous sommes hommes, la Religion n’est pas de notre choix & élection ; tesmoin après la vie & les mœurs si mal accordantes avec la Religion ; tesmoin que par occasions humaines & bien légeres, l’on va contre la teneur de sa Religion. Charron, de la sagesse, L. II, chap. 5, p. 257, Édition de Bordeaux 1601.

    Il y a grande apparence que la sincere profession de foi du vertueux Théologal de Condom, n’eût pas été fort différente de celle du Vicaire Savoyard.