Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t8.djvu/469

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basse, ni harmonie, ne trouvera de lui-même ni cette harmonie, ni cette basse ; mais même elles lui déplairont si on les lui fait entendre, & il aimera beaucoup mieux le simple unisson.

Quand on calculeroit mille ans les rapports des sons & les lois de l’harmonie, comment fera-t-on jamais de cet art un art d’imitation ? Où est le principe de cette imitation prétendue ? De quoi l’harmonie est-elle signe ? Et qu’y a-t-il de commun entre des accords & nos passions ?

Qu’on fasse la même question sur la mélodie, la réponse vient d’elle-même : elle est d’avance dans l’esprit des lecteurs. La mélodie, en imitant les inflexions de la voix, exprime les plaintes, les cris de douleur ou de joie, les menaces, les gémissemens ; tous les signes vocaux des passions sont de son ressort. Elle imite les accens des langues, & les tours affectés dans chaque idiôme à certains mouvemens de l’ame : elle n’imite pas seulement, elle parle ; & son langage inarticulé, mais vif, ardent, passionné a cent fois plus d’énergie que la parole même. Voilà d’où naît la force des imitations musicales ; voilà d’où naît l’empire du chant sur les cœurs sensibles. L’harmonie y peut concourir en certains systèmes, en liant la succession des sons par quelques lois de modulation ; en rendant les intonations plus justes ; en portant à l’oreille un témoignage assuré de cette justesse ; en rapprochant & fixant à des intervalles consonnans & liés des inflexions inappréciables. Mais en donnant aussi des entraves à la mélodie, elle lui ôte l’énergie & l’expression ; elle efface l’accent passionné pour y substituer l’intervalle harmonique ; elle assujettit à deux seuls modes des chants qui devroient en