Page:Rousseau - Du Contrat social éd. Beaulavon 1903.djvu/241

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Il est difficile que celui à qui l'État s'est vendu ne le vende pas à son tour et ne se dédommage pas sur les faibles de l'argent que les puissants lui ont extorqué. Tôt ou tard tout devient vénal sous une pareille administration, et la paix dont on jouit alors sous les rois est pire que le désordre des interrègnes.

Qu'a-t-on fait pour prévenir ces maux ? On a rendu les couronnes héréditaires dans certaines familles ; et l'on a établi un ordre de succession qui prévient toute dispute à la mort des rois ; c'est-à-dire que, substituant l'inconvénient des régences à celui des élections, on a préféré une apparente tranquillité à une administration sage, et qu'on a mieux aimé risquer d'avoir pour chefs des enfants, des monstres, des imbéciles, que d'avoir à disputer sur le choix des bons rois ; on n'a pas considéré qu'en s'exposant ainsi aux risques de l'alternative[1], on met presque toutes les chances contre soi. C'était un mot très sensé que celui du jeune Denys, à qui son père, en lui reprochant une action honteuse, disait : « T'en ai-je donné l'exemple ? — Ah ! répondit le fils, votre père n'était pas roi ! »

Tout concourt à priver de justice et de raison un homme élevé pour commander aux autres. On prend beaucoup de peine, à ce qu'on dit, pour enseigner aux jeunes princes l'art de régner ; il ne paraît pas que cette éducation leur profite. On ferait mieux de commencer par leur enseigner l'art

  1. C'est-à-dire aux chances de voir de mauvais rois succéder à un bon. Les chances défavorables sont d'ailleurs de beaucoup les plus nombreuses, comme le prouvent l'anecdote et le raisonnement qui suivent.