Page:Rousseau - Du Contrat social éd. Beaulavon 1903.djvu/242

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
232
DU CONTRAT SOCIAL

d’obéir. Les plus grands rois qu’ait célébrés l’histoire n’ont point été élevés pour régner ; c’est une science qu’on ne possède jamais moins qu’après l’avoir trop apprise, et qu’on acquiert mieux en obéissant qu’en commandant. « Nam utilissimus idem ac brevissimus bonarum malarumque rerum delectus, cogitare quid aut nolueris sub alio principe, aut volueris. »[1]

Une suite de ce défaut de cohérence est l’inconstance du gouvernement royal, qui, se réglant tantôt sur un plan tantôt sur un autre, selon le caractère du prince qui règne ou des gens qui règnent pour lui, ne peut avoir longtemps un objet fixe ni une conduite conséquente : variation qui rend toujours l’État flottant de maxime en maxime, de projet en projet, et qui n’a pas lieu dans les autres gouvernements, où le prince est toujours le même. Aussi voit-on qu’en général, s’il y a plus de ruse dans une cour, il y a plus de sagesse dans un sénat, et que les républiques vont à leurs fins par des vues plus constantes et mieux suivies ; au lieu que chaque révolution dans le ministère en produit une dans l’État, la maxime commune à tous les ministres, et presque à tous les rois, étant de prendre en toute chose le contre-pied de leurs prédécesseurs.

De cette même incohérence se tire encore la solution d’un sophisme très familier aux politiques royaux : c’est non seulement de comparer le gouvernement civil au gouvernement domestique, et le

  1. Tacite, Hist., I, 16. « Car le meilleur moyen, et le plus court à la fois, de discerner ce qui est bien et ce qui est mal, c’est de te demander ce que tu aurais ou n’aurais pas voulu, si c’était un autre que toi qui fût roi. »