Aller au contenu

Page:Rousseau - Du contrat social éd. Dreyfus-Brisac.djvu/161

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

n’a aucune fonction de la souveraineté. D’ailleurs, plus l’Etat s’étend, plus sa force réelle augmente, quoiqu’elle n’augmente pas en raison de son étendue : mais l’Etat restant le méme, les magistrats ont beau se multiplier, le gouvernement n’cn acquiert pas une plus grande force réelle, parce que cette force est celle de l’Etat, dont la mesure est toujours égale (r). Ainsi, la force relative ou l’activité du gouverncment diminue, sans que sa force absolue ou réelle puisse augmenter.

Il est sur encore que l’expédition des affaires devient plus lente a mesure que plus de gens en sont chargés ; qu’en donnant trop a la prudence on ne donne pas assez a la fortune ; qu’on laisse échapper l’occasion, et qu’a force de délibérer on perd souvent le fruit de la délibération.

Je viens de prouver que le gouvernement se relache a mesure que les magistrats se multiplient; et i’ai prouvé ci-devant que plus le peuple est nombreux, plus la force réprimante doit augmenter. D'où il suit que le rapport des magistrats au gouvernement doit étre inverse du rapport des sujets au souverain ; c’est-a-dire que, plus l’Etat s’agrandit, plus le gouvernement doit se resserrer ; tellement que le nombre des chefs diminue en raison de l'augmentation du peuple.

Au reste, je ne parle ici que de la force relative du gouvernement, et non de sa rectitude : car, au contraire, plus le magistrat est nombreux, plus la volonté de corps se rapproche de la volonté générale ; au lieu que, sous un magistrat unique, cette même volonté de corps n’est, comme je l’ai dit, qu’une volonté particuliére. Ainsi, l’on perd d’un coté ce qu’on peut gagner de l’autre, et l’art du législateur est de savoir fixer le point ou la force et la volonté du gou-

(1) R. Nouvelle Héloise, partie IV, lettre 10. - C’est une grande erreur dans l’économie domcstique ainsi que dans la civile, de vouloir combattre un vice par un autre ou former entre eux une sorte d’équilibre, comme si ce qui sape les fondements de l’ordre pouvait jamais servir à l’établir.