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Page:Rousseau - Du contrat social éd. Dreyfus-Brisac.djvu/183

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126 DU CONTRAT SOCIAL. Mais s’il n’y a point de gouvernement qui ait plus de vi- gueur, il n’y en a point ou la volonté particuliere ait plus d’empire et domine plus aisément les autres : tout marche au meme but, il est vrai; mais ce but n’est point celui de la félicité publique, et la force méme de Padministration tourne sans cesse au prejudice de l’Etat. Les rois veulent etre absolus (1), et de loin on leur crie que le meilleur moyen de l’etre est de se faire aimer de leurs peuples. Cette maxime est tres belle, et meme tres vraie a certains égards. Malheureusement on s’en moquera tou- jours dans les cours. La puissance qui vient de l’amour des peuples est sans doute Ia plus grande; mais elle est précaire et conditionnelle; jamais les princes ne s’en contenteront. despotisme, aspire a l`honneur de mourir d’ennui. Dans tous les royaumes du monde, cherchez—vous l‘homme le plus ennuyé du pays, allez toujours directement au souverain surtout s’il est tres absolu. C’est bien la peine de faire tant de misérables, ne saurait-il s’ennuyer ia moindres frais? Fméuémc Il, Anti-Machiavcl, chap. xxu. — ll y a deux especes de princes dans le monde, ceux qui voient tout par leurs propres yeux et gou- vernent leurs Etats par eux-memes et ceux qui se reposem sur la bonne foi de leurs ministres et qui se laissent gouverner par ceux qui ont pris l’ascen- _ dant sur leur esprit. _ Les souverains de la premiere espece sont comme Fame de leurs Etats, le poids de leur gouvernement repose sur eux tout comme le monde sur le dos d’Atlas; ils reglent les aiiaires intérieures comme les étraugeres, ils remplissent a la fois les postes de premiers magistrats de la justice, de gé- néraux des armées, de grands trésoriers. Ils ont, a l’exemple de Dieu (qui se sert d’intelligences supérieures a l’homme pour opérer ses volontés), des esprits pénétrants et laborieux pour exécuter leurs desseins et pour remplir en détail ce qu’ils ont projeté en grand; ces ministres sont purement des in- struments dans les mains d’un sage et habile maitre. Les souverains du second ordre sont comme plongés par un défaut de génie ou une indolence naturelle dans une indifiérence léthargique. Si 1’Etat, pres de tomber en défaillance parla faiblesse du souverain,doit etre soutenu par la sagesse et la vivacité d’un ministre, le prince alors n’est qu’un fantome, mais un fantome nécessaire, car il représente l’Etat; tout ce qui est a sou- haiter, c’est qu’il fasse un heureux choix. (1) Px.u·r4unquz,A un prince ignorant. — Le plus grand nombre des princes estiment A tort que le premier avantage qu’i1 y ait a commander, ce soit de n’etre point commandé. Au moins était-ce l’opinion du roi de Perse qui regardait tous ses suiets comme autant d’esclaves. Le mot de Denys est vrai, que la principale jouissance du pouvoir consiste dans le prompt accomplissement de sa volonté.