Page:Rousseau - Du contrat social éd. Dreyfus-Brisac.djvu/262

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LIVRE IV. — CHAP. V. 205 téger Ie souverain contre le gouvernement, comme faisaient A Rome les tribuns du peuple; quelquefois A soutenir le gouvernement contre le peuple, comme fait maintenant A Venise le conseil des Dix ; et quelquefoisAmaintenir l’équi- libre de part et d’autre, comme faisaient les éphores A Sparte. Le tribunat n’est point une partie constitutive de la cite, et ne doit avoir aucune portion de la puissance législa— tive ni de l’exécutive: mais c’est en cela meme que la sienne est plus grande; car, ne pouvant rien faire, il peut tout empécher. Il est plus sacré et plus révéré, comme défen- seur des lois, que le prince qui les exécute, et que le sou- verain qui les donne. C’est ce qu’on vit bien clairement A Rome, quand ces iiers patriciens, qui mépriserent toujours le peuple entier, furent forcés de Héchir devant un simple oflicier du peuple, qui n’avait ni auspices ni juridiction. Le tribunat, sagement tempéré, est le plus ferme. appui d’une bonne constitution; mais pour peu de force qu‘il ait de trop, il renverse tout: A l’égard de la faiblesse,elle n’est pas dans sa nature; et pourvu qu’il soit quelque chose, il n’est jamais moins qu’il ne faut (1). Il dégénre en tyrannic quand il usurpe la puissance (1) R. Lettres de la Montague. — Apres cette comparaison, l’auteur des Lettres de la Campagne qui se plait A vous présenter de grands exemples, vous otfre celui de l’ancienne Rome. ll lui reproche avec dédain ses tribuns brouillons et séditieux : il déplore amerement, sous cette orageuse admi- nistration, le triste sort de cette malheureuse ville, qui pourtant n’étant rien encore A Pérection de cette magistrature, eut sous elle cinq cents ans de gloire et de prospérité, et devint la capitale du monde. Elle finit enfin parce qu’il faut que tout finisse; elle iinit par les usurpations de ses grands, de ses consuls, de ses généraux, qui Penvahirent : elle périt par 1’exces_de sa puissance; mais elle ne l’avait acquise que par la bonté de son gouver- nement. On ne peut dire en ce sens que ses tribuns la détruisirent. Les tribuns ne sortaieut point de la ville; ils n’avaient aucune autorité hors de ses murs : aussi les consuls, pour se soustraire A leur inspection, tenaient·ils quelquefois les comices dans la campagne. Or, les fers des Ro- mains ne furent point forgés dans Rome, mais dans_ses armées, et ce fut par leurs conquetes qu’ils perdirent leur liberté. Cette perte ne vint donc pas des tribuns. ll est vrai que César se servit d’eux comme Sylla s’était servi du sénat, chacun prenait les moyens qu’il iugeait les plus prompts ou les plus surs