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Page:Rousseau - Du contrat social éd. Dreyfus-Brisac.djvu/308

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APPENDICE I. 247 Tels sont les premiers liens de la société générale, tels sont les fon- dements de cette bienveillance universelle, dont la nécessité recon- nue semble étouffer le sentiment, et dont chacun voudrait recueillir le fruit, sans étre obligé de la cultiver; car, quant A l’identité de nature, son effet est nul en cela, parce qu’elle est autant pour les hommes un sujet de querelle que d’union, et met aussi souvent entre eux la concurrence et la jalousie que la bonne intelligence et Paccord. De ce nouvel ordre de choses naissent des multitudes de rap- ports sans mesure, sans régle, sans consistance, que les hommes ' alterent et changent continuellement, cent travaillant A les détruire pour un qui travaille A les fixer; et comme l’existence relative d’un homme dans l’état de nature dépend de mille autres rapports, qui sont dans un Hux continuel, il ne peut iamais s’assurer d’étre le méme durant deux instants de sa vie (1); la paix et le bonheur ne sont pour lui qu’un éclair; rien n’est permanent que la misére, qui résulte de routes ces vicissitudes (a); quand ses sentiments et ses idées pourraient s’élever jusqu’A l’amour de l’ordre et aux no- tions sublimes de la vertu (2), il lui serait impossible de faire iamais une application sure de ses principes dans un état de choses qui ne lui laisserait discerner ni le bien, ni le mal, ni Phonnéte homme, ni le méchant. La société générale, telle que nos besoins mutuels peuvent l’en-· gendrer, n’ofi`re donc point une assistance efticace A l’homme devenu misérable, ou du moins elle ne donne de nouvelles forces qu’A celui qui en a déja trop, tandis que le faible, perdu, étouffé, écrasé dans la multitude, ne trouve nul asile ou se réfugier, nul support A sa faiblesse, et périt enfin victime de cette union trompeuse, dont il attendait son bonheur (b). >l< (3) Si l’on est une fois convaincu que dans ces motifs qui portent d`avidité, d'oppression, de désirs et d'orgueil, ont transporté A l'état de nature des idées qu’iIs avaient prises dans la société, ils parlaient de l'l1omme sauvage et ils peignaient l'bomme civil. - Emile, liv. II. — La société a fait l'homme plus taible non seulement en lui GIRDI le droit qu'il avait sur ses propres forces, mais surtout en les lui rendant insuffisantes. VoilA pourquoi ses désirs se multiplient avec sa faiblesse, (1) De suite. _ (2) M.Alexeietf a lu ici vérité. (3) Ce passage entre croix est barré dans le manuscrit. (a) Emile, liv. 11. Tout est mélé dans cette vie, on n'y goilte aucuu sentiment pur, on n'y reste pas deux moments dans Ie meme état. Les affections de nos Ames ainsi que les modifications de nos corps sont dans un flux continuel. Le bien et le mal nous sont communs A tous, mais en ditférentes mesures. Le plus heureux est celui qui soutfre le moins de peines, le plus miserable est celui qui sent le moins de plaisirs. Touiours plus de_soutfra11ces que de iouissances, voilA la difference commune A tous. (b) Emile, liv. IV. — Il y a dans l'etat de nature une égalité de fait, réelle et indes- tructible, parce qu'il est impossible dans cet état que la seule ditférence d°homme A homme soit assez grande pour rendre l‘un dependant de l'autre. ll y a dans l’état civil une égalité du droit chimerique et vaine, parce que les moyens destinés A la maintenir servent eux-memes A la détruire, et que la force publique aioutée au plus fort pour