Page:Rousseau - Du contrat social éd. Dreyfus-Brisac.djvu/322

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APPENDICE I. 261 ne pourrait pas sans inconvénient lui confier l’entiére direction des forces publiques; mais sans prévenir sur cette question les solutions que j’en donnerai ci-aprés, chacun doit voir des A présent qu’une volonté particuliére substituée A la volonté générale est un instru- ment supertiu quand elles sont d’accord, et nuisible quand elles sont opposées. On doit voir encore qu’une pareille supposition est absurde et impossible par la nature des choses, car l’intérét privé tend toujours aux préférences, et Pintérét public A l’égalité. De plus, quand on aurait trouvé pour un moment l’accord des deux volontés, on ne pourrait jamais s’assurer que cet accord dure- rait encore le moment aprés, et qu’il ne naitrait jamais d’opposition entre elles. L’ordre des choses humaines est sujet A tant de révolu- tions, et les maniéres de penser, ainsi que les maniéres d’é`tre, changent avec tant de facilité, que ce serait une témérité d’affirmer qu’on voudra demain ce qu’on veut auiourd’hui, et si la volonté géné· rale est moins sujette A cette inconstance, rien n’en peut mettre A couvert la volonté particuliére. Ainsi quand méme le corps social pourrait dire une fois : << Je veux maintenant tout ce que veut un tel homme », jamais il ne pourrait dire en parlant du méme homme : Ce qu’il voudra demain, je le voudrai encore. » Or la volonté générale qui doit diriger1’Etat n’est pas celle d’un temps passé, mais celle du moment présent, et le vrai caractére de la souveraineté est qu’il y ait touiours accord de temps, de lieu, d’eH`et, entre la direction de la volonté générale et l’emploi de la force publique; accord sur lequel on ne peut plus compter sitot qu’une autre volonté, telle qu’elle puisse étre, dispose de cette force. Il est vrai que dans un état bien réglé l’on peut touiours (1) inférer la durée(z) d’un acte de la volonté du peuple, de ce qu’il ne le détruit pas par un acte contraire; mais c’est toujours en vertu d’un consentement présent et tacite que 1’acte antérieur peut continuer d’avoir son effet. Dans la suite. on verra quelles conditions sont nécessaires pour faire présumer ce consen- tement.] Comme dans la constitution de l’homme l’action de l’Ame sur le corps est l’abime de la philosophiela), de méme l’action de la volonté générale sur la force publique est l’abime de la politique dans la constitution de 1’Etat. C’est lA que tous les législateurs (3) se sont per- dus. J’exposeraidans la suite les meilleurs moyens qu’on ait employés Acet eH`et, et ie me iierai (4) pourles apprécier au raisonnement qu’au- ‘ tant qu’il sera justiiié par l’expérience. Si vouloir et faire sont la méme chose pour tout étre libre, et si la volonté d’un tel étre mesure (1) Quelqucfois. · (2) Continuation. (3) Ont échoué. (4,) Mains pour en juger au raisonnement qu’& Pexpérience. ` (a) Emile, liv. ll. Entre l'idée incomprehensible de l’action de notre Ame sur notre corps et I'idée de l’action de Dieu sur tous les étres ....