Page:Rousseau - Du contrat social éd. Dreyfus-Brisac.djvu/349

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{ 28: DU CONTRAT SOCIAL. i Un peuple non encore corrompu peut avoir dans ses dimen’ sions les vices qui ne sont pas dans sa substance. Je m’explique : (a) [Comme la nature a donné des termes A la stature d’un homme bien conformé, au delA desquels elle ne fait plus que des géants ou des nains, il y a de meme, eu égard A la meilleure constitution d’un Etat. des bornes A l’étendue qu’il doit avoir, aiin qu’il ne soit ni trop grand ( pour pouvoir etre bien gouverné, ni trop petit pour pouvoir se main- tenir par lui-meme. Il est difficile de rien imaginer de plus insensé que les maximes de ces nations conquérantes qui croyaient augmen- ter toujours leur puissance en étendant sans mesure leur territoire. On commence A sentir qu’il y a dans tout corps politique un maxi- mum de force qu’il ne saurait passer, et duquel il s’éloigne souvent A “ force de s’agrandir; mais on ne sent peut-etre pas encore assez ( que plus le lien social s’étend, plus il se releche, et qu’en général un ( petit Etat est toujours proportionnellement plus puissant qu’un grand. (b) * I l ne faut qu’ouvrir1’histoire pour se convaincre de cette maxime par l’expérience, et mille raisons peuvent la démontrer *. Premiere- ment, l’administration devient plus pénible dans les grandes dis- tances, comme un poids devient plus lourd au bout d’un grand levier. Elle devient aussi plus onéreuse A mesure que les degrés se multi- plient; car chaque ville a la sienne que le peuple paye, chaque dis- trict la sienne encore payée par le peuple; ensuite chaque province, I puis les grands gouvernements, les satrapies, les vice·royautés, qu’il ) faut toujours payer plus cher A mesure qu’on monte; enfin vient ( l’administration supreme qui écrase tout: A peine reste·t·il des res- sources pour les cas extraordinaires, et quand il y faut recourir, 1’Etat est toujours A la veille de sa ruine. Le gouvernement a moins de vigueur et de célérité pour faire observer les lois, prévenir les vexations, corriger les abus et réprimer les entreprises séditieuses qui peuvent se faire dans des lieux éloignés. Le peuple a moins d’afi`ection pour ses chefs qu’il ne voit jamais, pour la patrie qui est A ses yeux comme le monde, et pour ses concitoyens dont la plupart lui sont étrangers. Les memes lois ne peuvent convenir A tant de nations qui ont des moeurs différentes, qui vivent dans des climats opposés et qui ne peuvent souffrir la meme forme de gouvernement. Des lois différentes n’engendrent que trouble et confusion parmi des peuples qui, vivant sous les memes chefs et dans une communication conti- nuelle, passent sans cesse les uns chez les autres et, soumis A d’autres coutumes, ne sont jamais surs que leur patrimoine soit bien A eux. Les talents sont enfouis, les vertus ignorées, le vice impuni, dans cette multitude d’hommes inconnus les uns aux autres que le siege de l’administration rassemble dans un meme lieu. Les chefs, accablés d’aiI`aires, ne voient rien par eux-memes; enfin les mesures qu’il faut (4) Le morceau entre crochets a passe dans le Contrat social, liv. Il, chap. tx. (b) Le passage entre croix n'est pas A cet endroit du Contrat social. ..4