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ce qu’on appelle des peuples policés. Le besoin éleva les trônes, les sciences et les arts les ont affermis.

CONFESSIONS (1750)

L’année suivante (1750), comme je ne songeais plus à mon discours, j’appris qu’il avait remporté le prix à Dijon. Cette nouvelle réveilla toutes les idées qui me l’avaient dicté, les anima d’une nouvelle force et acheva de mettre en fermentation dans mon cœur le levain d’héroïsme et de vertu, que mon père et ma patrie et Plutarque y avaient mis dans mon enfance…

Quand mes incommodités me permettaient de sortir et que je ne me laissais pas entraîner ici ou là par mes connaissances, j’allais me promener seul, je rêvais à mon grand système, je jetais quelque chose sur le papier, à l’aide d’un livret blanc et d’un crayon que j’avais toujours dans la poche. Voilà comment les désagréments imprévus d’un état de mon choix me jetèrent par diversion tout à fait dans la littérature, et voilà comment je portai dans tous mes premiers ouvrages la bile et l’humeur qui m’en faisaient occuper.

RÉPONSE AU ROI DE POLOGNE (1751)

Je ne dois pas passer sous silence une objection considérable qui m’a déjà été faite par un philosophe[1] : « N’est-ce point — me dit-on ici — au climat, au tempérament, au manque d’occasion, au défaut d’objet, à l’économie du gouvernement, aux coutumes, aux lois, à toute autre cause qu’aux sciences, qu’on doit attribuer cette différence qu’on remarque quelquefois dans les mœurs en différents pays et en différents temps ? »

Cette question renferme de grandes vues et demanderait des éclaircissements trop étendus pour convenir à cet écrit. D’ailleurs, il

  1. D’Alembert, Discours préliminaire de l’Encyclopédie. — Ce serait peut-être ici le lieu de repousser les traits qu’un écrivain éloquent et philosophe a lancés depuis peu contre les sciences et les arts…

    Nous le prierons d’examiner si la plupart des maux qu’il attribue aux sciences et aux arts ne sont point dus à des causes toutes différentes dont l’énumération serait ici aussi longue que délicate. Les lettres contribuent certainement à rendre la société plus aimable ; il serait difficile de prouver que les hommes en sont meilleurs et la vertu plus commune, mais c’est un privilège qu’on peut disputer à la morale même. Et pour dire encore plus, faudra-t-il proscrire les lois parce que leur nom sert d’abri à quelques crimes dont les auteurs seraient punis dans une république de sauvages ?… Finissons cette histoire des sciences en remarquant que les diverses formes de gouvernement qui influent tant sur les esprits et la culture des lettres déterminent aussi les espèces de connaissances qui doivent principalement y fleurir et dont chacune a son mérite particulier. Il doit y avoir en général dans une république plus d’orateurs. d’historiens et de philosophes, et dans une monarchie plus de poètes, de théologiens et de géomètres. Cette règle pourtant n’est pas si absolue, qu’elle ne puisse être altérée et modifiée par une infinité de causes.