Page:Rousseau - Du contrat social éd. Dreyfus-Brisac.djvu/419

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346 DU CONTRAT SOCIAL. l Ie maintien de la constitution ne vous fasse jamais négliger au be- [ soin les sages avis des plus eclaires et des plus zeles d’entre vous, 2 mais que l’équité, la moderation, Ia plus respectueuse fermeté, con- tinuent de régler toutes vos démarches, et de montrer en vous, a tout l’univers, l’exemple d’un peuple fier et modeste, aussi jaloux de sa gloire que de sa liberté. Gardez·vous surtout, et ce sera mon dernier conseil, d’écouter iamais des interpretations sinistres et des discours envenimés, dont les motifs secrets sont souvent plus dangereux que les actions qui en sont l’objet. Toute une maison s’éveille et se tient en alarmes aux premiers cris d’un bon et fidele gardien qui n’aboie jamais qu’a l’approche des voleurs, mais on hait l’importunité de ces animaux bruyants qui troublent sans cesse le repos public, et dont les avertissements continuels et déplacés ne se font pas meme écouter au moment qu’ils sont nécessaires... pnérnca La plus utile et la moins avancée de toutes les connaissances hu- maines me parait étre celle de l’homme; et i’ose dire que la seule l inscription du temple de Delphes contenait un précepte plus impor- tant et plus difficile que tous les gros livres des moralistes. Aussi je regarde le sujet de ce discours comme une des questions les plus intéressantes que la philosophie puisse proposer, et, malheureuse- ment pour nous, comme une des plus épineuses que les philosophes puissent resoudre zcar comment connaitre la source de l’inegalité parmi les hommes, si l’on ne commence par les connaitre eux-memes? et comment l’homme viendra-t-il a bout de se voir tel que l’a forme la nature, a travers tous les changements que la succession des temps et des choses a du produire dans sa constitution originelle, et de déméler ce qu’il tient de son propre fonds d’avec ce que les cir- constances et ses progres ont ajoute ou change a son état primitif ? Semblable a la statue de Glaucus, que le temps, la mer et les orages avaient tellement défigurée qu’elle ressemblait moins a un dieu qu’a une bete feroce, l’&me humaine, altérée au sein de la sociéte par mille causes sans cesse renaissantes, par l’acquisition d’une multitude de connaissances et d’erreurs, par les changements arrives a la con- stitution des corps, et par le choc continuel des passions, a pour ainsi dire change d’apparence au point d’étre presque méconnais- sable; et l’on n’y retrouve plus, au lieu de cette celeste et maiestueuse simplicité dont son auteur l’avait empreinte, que le difforme con- traste de la passion qui croit raisonner, et de l’entendement en délire. Ce qu’il y a de plus cruel encore, c’est que tous les progres de l’espece humaine l’éloignant sans cesse de son état primitif, plus nous accumulons de nouvelles connaissances, et plus nous nous otons les moyens d’acquérir la plus importante de toutes, et que