Page:Rousseau - Du contrat social éd. Dreyfus-Brisac.djvu/420

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APPENDICE IV. 347 c’est en un sens a force d’etudier l’homme que nous nous sommes mis hors d’état de le connaitre. Il est aise de voir que c’est dans ces changements successifs de la constitution humaine qu’il faut chercher la premiere origine des differences qui distinguent les hommes; lesquels, d’un commun aveu, sont naturellement aussi égaux entre eux que l’etaient les ani- maux de chaque espece avant que diverses causes eussent introduit dans quelques-unes les variétes que nous y remarquons. En effet, il n’est pas concevable que ces premiers changements, par quelque moyen qu’ils soient arrives, aient altére tout it la fois et de la meme maniere tous les individus de l’espece; mais les uns s’étant perfection- nes ou détériores, et ayant acquis diverses qualités, bonnes ou mau- vaises,qui n’étaient point inhérentes e leur nature,les autres resterent plus longtemps dans leur etat originel : et telle fut parmi les hommes la premiere source de l’inegalite qu’il est plus aisé de démontrer ainsi en general, que d’en assigner avec precision les véritables causes. Que mes lecteurs ne s’imaginent donc pas que j’ose me Hatter d’avoir vu ce qui me parait si difficile it voir. J ’ai commence quelques raisonnements, j’ai hasarde quelques conjectures, moins dans l’espoir de resoudre la question, que dans l’intention de l’éclaircir et de la reduire e son veritable etat. D’autres pourront aisement aller plus loin dans la meme route, sans qu’il soit facile e personne d’arriver au terme; car ce n‘est pas une legere entreprise de démeler ce qu’il y a d’originaire et d’artificiel dans la nature actuelle de l’homme, et de bien connaitre un état qui n’existe plus, qui n’a peut-etre point existe, qui probablement n’existera jamais, et dont il est pourtant necessaire d’avoir des notions justes, pour bien juger de notre etat present. Il faudrait meme plus de philosophie qu’on ne pense a celui qui entreprendrait de déterminer exactement les precautions a pren- dre pour faire sur ce sujet de solides observations; et une bonne so- lution du probleme suivant ne me paraitrait pas indigne des Aristotes et des Plines de notre siecle : Quelles experiences seraient necessaires pour parvenir d connaitre l'homme naturel, et quels sont les moyens de jaire ces experiences au sein de la société (t) ? Loin d’entreprendre de resoudre ce probleme, je crois en avoir assez médité le sujet pour (1) Burrow, Histoire naturelle (Variétés dans Pespece humaine). — L‘homme sau- vage est de tous les animaux le plus singulier, le moins connu, et le plus difiicile 5 decrire, mais nous distinguons si peu ce que ta nature seule nous a donné de ce que _ l’education, l`imitation, l‘art ct l‘exemple nous ont communique, ou nous les confondons si bien qu’il ne serait pas étonnant que nous nous meconnussions totalement au portrait d’un sauvage, s‘il nous etait présente avec les vraies couleurs et les seuls traits naturels qui doivent en faire le caractere. Un sauvage absolument sauvage... serait un spectacle curieux pour un philosopbe. ll pourrait, en observant son sauvage, evatuer au iuste la force des appetite de la nature, il y verrait Fame a decouvert, il en distinguerait tous les mouvements naturels et peut- étre y reconnaitrait-il plus de douceur, de tranquillite et de calme que dans la sienne; peut-etre verrait-il clairement que la vertu appartient a l'homme sauvage plus qu‘A _ l'homme civilisé et que le vice n’a pris naissance que dans la sociéte. - i