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Page:Rousseau - Du contrat social éd. Dreyfus-Brisac.djvu/432

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APPENDICE IV. 359 d’homme A homme, le pis qui puisse arriver A l’un étant de se voir A la discrétion de l’autre, n’eut-il pas été contre le bon sens de com- mencer par se dépouiller entre les mains d’un chef des seules choses pour la conservation desquelles ils avaient besoin de son secours? Quel équivalent eilt-il pu leur offrir pour la concession d’un si beau droit? et, s’il eut osé l’exiger sous prétexte de les défendre, n’eut··il pas aussitot regu la réponse de Papologue : Que nous fera de plus l’ennemi? Il est donc incontestable, et c’est la maxime fondamentale de tout le droit politique, que les peuples se sont donné des chefs pour défendre leur liberté, et non pour les asservir. Si nous avons un prince, disait Pline A Trajan, c’est a/in qu’il nous préserve d’avoir un maftre. Les politiques font sur l’amour de la liberté les mémes sophismes que les philosophes ont faits sur l’état de la nature : par les choses qu’ils voient, ils iugent des choses tres différentes qu’ils n’ont pas vues, et ils attribuent aux hommes un penchant naturel A la servi- tude, par la patience avec laquelle ceux qu’ils ont sous les yeux sup- portent la leur; sans songer qu’il eu est de la liberté comme de l’in- nocence et de la vertu, dont on ne sent le prix qu’autant qu’on en jouit soi·méme, et dont le gout se perd sitot qu’on les a perdues. • Je con- nais les délices de ton pays, disait Brasidas A un satrape qui compa- rait la vie de Sparte A celle de Persépolis; mais tu ne peux connaitre , les plaisirs du mien. » l Comme un coursier indompté hérisse ses crins, frappe la terre du pied et se débat nmpétueusement A la seule approche du mors, tandis qu’un cheval dressé souffre patiemment la verge et l’éperon, Q l’homme barbare he plie point sa téte au joug que l’homme civilisé J porte sans murmure, et il préfére la plus orageuse liberté A un assu· 1 jettissement tranquille. Ce n’est donc pas par l’avilissement des peu- I ples asservis qu’il faut juger des dispositions naturelles de l’homme pour ou contre la servitude, mais par les prodiges qu’ont faits tous les peuples libres pour se garantir de l’oppression. Je sais que les pre- miers ne font que vanter sans cesse la paix et le repos dont ils jouis- sent dans leurs fers, et que miserrimam servitutem pacem appellant; mais quand jevois les autres sacrifier les plaisirs, le repos, la richesse, la puissance, et la vie méme, A la conservation de ce seul bien si dédaigné dc ceux qui l’ont perdu; quand je vois des animaux, nes libres et abhorrant la captivité, se briser la téte contre les barreaux ‘ de leur prison; quand je vois des multitudes de sauvages tout nus mépriser les voluptés européennes, et braver la faim, le feu, le fer et la mort, pour ne conserver que leur indépendance, je sens que ce n’est pas A des esclaves qu’il appartient de raisonner de liberté. Quant A l’autorité paternelle, dont plusieurs ont fait dériver le gouvernement absolu et toute la société, sans recourir aux preuves contraires de Locke et de Sidney, il suffit de remarquer que rien au q