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Page:Rousseau - Du contrat social éd. Dreyfus-Brisac.djvu/433

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360 DU CONTRAT SOCIAL. monde n’est plus éloigné de l’esprit féroce du despotisme que la dou- ceur de cette autorité, qui regarde plus a l’avantage de celui qui obéit qu’a l’utilité de celui qui commande; que, par la loi de nature le pére n’est le maitre de l’enfant qu’aussi longtemps que son secours lui est nécessaire; qu’au dela de ce terme ils deviennent égaux, et qu’alors le fils, parfaitement indépendant du pere, ne lui doit que du respect et non de l’obéissance; car la reconnaissance est bien un devoir qu’il faut rendre, mais non pas un droit qu’on puisse exiger. Au lieu de dire que la société civile dérive du pouvoir paternel, il fallait dire au contraire que c’est d’elle que ce pouvoir tire sa princi- pale force. Un individu ne fut reconnu pour le pere de plusieurs que quand ils restérent assemblés autour de lui. Les biens du pére, dont il est véritablement le maitre, sont les liens qui retiennent ses enfants dans sa dépendance, et il peut ne leur donner part a sa suc- cession qu’a proportion qu’ils auront bien mérité de lui par une con- tinuelle déférence a ses volontés. Or, loin que les sujets aient quel- que faveur semblable a attendre de leur despote. comme ils lui appartiennent en propre, eux et tout ce qu’ils possédent, ou du moins . qu’il le prétend ainsi, ils sont réduits a recevoir comme une faveur ce qu’il leur laisse de leur propre bien : il fait justice quand il les dé- pouille; il fait grace quand il les laisse vivre. En continuant d’examiner ainsi les faits par le droit, on ne trouve· rait pas plus de solidité que dans Pétablissement volontaire de la tyrannie, et il serait difficile de montrer la validité d’un contrat qui n’obligerait qu’une des parties, ou l’on mettrait tout d’un c6té et rien de l’autre, et qui ne tournerait qu’au préjudice de celui qui s’engage. Ce systéme odieux est bien éloigné d’étre, méme aujourd’hui, celui des sages et bons monarques, et surtout des rois de France, comme “ on peut le voir en divers endroits de leurs édits, et en particulier dans le passage suivant d’un écrit célébre, publié en 1667, au nom et par les ordres de Louis XIV : ec Qu’on ne dise donc point que le souverain ne soit pas su jet aux lois de son Etat, puisque la proposi- tion contraire est une vérité du droit des gens que la Hatterie a quel- l quefois attaquée, mais que les bons princes ont touiours défendue comme une divinité tutélaire de leurs Etats. Combien est-il plus légitime de dire, avec le sage Platon, que la parfaite félicité d’un royaume est qu’un prince obéisse a la loi, et que la loi soit droite et toujours dirigée au bien public! » Je ne m’arréterai point a chercher si la liberté étant la plus noble des facultés de 1’homme, ce n’est pas dégrader sa nature, se mettre au niveau des bétes esclaves de l’ins- , tinct, ofl`enser méme l’auteur de son étre, que de renoncer sans J réserve au plus précieux de tous ses dons, que de se soumettre a i commettre tous les crimes qu’il nous défend, pour complaire a un l maitre féroce ou insensé, et si cet ouvrier sublime doit étre plus i irrité de voir détruire que déshonorer son plus bel ouvrage. Je négli-