Page:Rousseau - Du contrat social éd. Dreyfus-Brisac.djvu/434

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AP PENDICE IV. 36r gerai, si l’on veut, l’autorité de Barbeyrac, qui déclare nettement, d’aprés Locke, que nul ne peut vendre sa liberté jusqu’A se soumettre A une puissance arbitraire qui le traite A sa fantaisie : Car, ajoute-t-il, ce serait vendre sa propre vie dont on n’est pas le maftre. Je demande- rai seulement de quel droit ceux qui n’ont pas craint de s’avilir eux- mémes jusqu’A ce point, ont pu soumettre leur postérité A la méme ignominie, et renoncer pour elle A des biens qu’elle ne tient point de leur libéralité et sans lesquels la vie méme est onéreuse A tous ceux qui en sont dignes. Puffendorff dit que, tout de méme qu’on transfére son bien A au- trui par des conventions et des contrats, on peut aussi se dépouiller de sa liberté en faveur de quelqu’un. C’est lA, ce me semble, un fort mauvais raisonnement : car, premiérement, le bien que j’aliéne me devient une chose tout A fait étrangére, et dont l’abus m’est indiffé-· rent; mais il m’importe qu’on n’abuse point de ma liberté, et je ne puis, sans me rendre coupable du mal qu’on me forcera de faire, m’exposer A devenir Pinstrument du crime. De plus, le droit de pro- priété n’étant que de convention et d`institution humaine, tout homme peut A son gré disposer de ce qu’il possede : mais il n’en est pas de méme des dons essentiels de la nature, tels que la vie et la liberté, dont il est permis A chacun de jouir, et dont il est au moins douteux qu’on ait droit de se dépouiller: en s’6tant l’une on degrade son étre; en s’6tant l’autre on l’anéantit autant qu’il est en soi : et comme nul bien temporel ne _peut dédommager de l’une et de l’autre, ce serait olfenser A la fois la nature et la raison que d’y renoncer A quelque prix que ce ffit. Mais quand on pourrait aliéner sa liberté comme ses biens, la différence serait tres grande pour les enfants, qui ne jouis- sent des biens du pére que par la transmission de son droit; au lieu que la liberté étant un don qu’ils tiennent de la nature en qualité d’hommes, leurs parents n’ont aucun droit de les en dépouiller : de sorte que, comme pour établir l’esclavage, il a fallu faire violence A la nature, il a fallu la changer pour perpétuer ce droit : et les juris- · consultes qui ont gravement prononcé que l’enfant qui naitrait d’une esclave naitrait esclave ont décidé en d’autres termes qu’un homme ne naitrait pas homme. Il me parait donc certain que non seulement les gouvernements n’ont point commencé par le pouvoir arbitraire, qui n’en est que IA corruption, le terme extréme, et qui les raméne enlin A la seule loi du plus fort, dont ils furent d’abord le reméde; mais encore que, quand méme ils auraient ainsi commencé, ce pouvoir, étant par sa nature illégitime, n’a pu servir de fondement aux droits de la société, ni par conséquent A l’inégalité d’institution. Sans entrer aujourd’hui dans les recherches qui sont encore A faire sur la nature du pacte fondamental de tout gouvernement, je me borne, en suivant l’opinion commune, A considérer ici l’établisse- l