Page:Rousseau - Du contrat social éd. Dreyfus-Brisac.djvu/439

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366 DU CONTRAT SOCIAL. mée au dedans par une suite des précautions mémes qu’elle avait prises contre ce qui la menacait au dehors; on verrait Poppression s’accroitre continuellement, sans que les opprimés pussent jamais savoir quel terme elle aurait, ni quels moyens légitimes il leur reste- rait pour l’arréter; on verrait les droits des citoyens et les libertés nationales s’éteindre peu a peu, et les réclamations des faibles traitées de murmures séditieux; on verrait la politique restreindre a une por- tion mercenaire du peuple l’honneur de défendre la cause commune; on verrait de la sortir la nécessité des impots, le cultivateur quitter son champ, meme durant la paix, et laisser la charrue pour ceindre l’épée; on verrait naitre les régles funestes et bizarres du point d’hon- q neur; on verrait les défenseurs de la patrie en devenir tot ou tard les i ennemis, tenir sans cesse le poignard levé sur leurs concitoyens; et il viendrait un temps ou on les entendrait dire a l’oppresseur de leur pays : Pectore si fratris gladium juguloquc parentis Condere me jubeas gravidxquc in visccra partu l Conjugis, invita peragam tamen cmnia dextra. . l De l’extréme inégalité des conditions et des fortunes, de la di- versité des passions et des talents, des arts inutiles, des arts perni- l cieux, des sciences frivoles, sortiraient des foules de préjugés, éga- l lement contraires a la raison, au bonheur et at la vertu : on verrait l fomenter par les chefs tout ce qui peut affaiblir des hommes rassem· l blés en les unissant, tout ce qui peut donner at la société un air de l concorde apparente, et y semer un germe de division réelle, tout ce qui peut inspirer aux différents ordres une défiance et une haine mutuelle par l’opposition de leurs droits et de leurs intéréts, et forti- fier par conséquent le pouvoir qui les contient tous. C’est du sein de ce désordre et de ces révolutions que le despo- tisme, élevant par degrés sa téte hideuse, et dévorant tout ce qu’il aurait apercu de bon et de sain dans toutes les parties de l’Etat, par- i viendrait entin a fouler aux pieds les lois et le peuple, et a s’établir l sur les mines de la république. Les temps qui précéderaient ce der- i nier changement seraient des temps de troubles et de calamités; p mais a la fin tout serait englouti par le monstre, et les peuples n`au- i raient plus de chefs ni de lois, mais seulement des tyrans. Des cet instant aussi, il cesserait d’étre question de moeurs et de vertu : car i partout ou régne le despotisme, cui ex honesto nulla est spes, il ne souffre aucun maitre, sitot qu’il parle, il n’y a ni probité ni devoir a p consulter, et la plus aveugle obéissance est la seule vertu qui reste l aux esclaves. C’est ici le dernier mot de l’inégalité, et le point extréme qui ferme le cercle et touche au point d’ou nous sommes partis : c’est ici que tous les particuliers redeviennent égaux, parce qu’ils ne sont