Page:Rousseau - Du contrat social éd. Dreyfus-Brisac.djvu/451

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`378 DU CONTRAT SOCIAL. la terre quand il n’y voit plus de patrie 21 servir. Un digne éléve de Socrate serait le plus vertueux de ses contemporains; un digne émule de Caton en serait le plus grand. La vertu du premier terait son bonheur; le second chercherait son bonheur dans celui de tous. Nous, serions instruits par 1’un et conduits par l’autre : et cela seul déciderait de la préférence ; car on n’a jamais fait un peuple de sages, mais il n’est pas impossible de rendre un peuple heureux. Voulons-nous que les peuples soient vertueux, comrnengons donc par leur faire aimer la patrie. Mais comment l’aimeront·ils, si la pa- trie n’est rien de plus pour eux que pour des étrangers, et qu’elle ne leur accorde que ce qu’elle ne peut refuser a personne? Ce serait bien pis s’ils ne iouissaient pas méme de la silreté civile, et que leurs biens, leur vie ou leur liberté, fussent a la discrétion des hommes puissants, sans qu’il leur fut possible ou permis d’oser réclamer les lois. Alors, soumis aux devoirs de l’état civil, sans jouir méme des droits de l’état de nature et sans pouvoir employer leurs forces pour se détendre, ils seraient par conséquent dans la pire condition ou se puissent trouver des hommes libres, et le mot de patrie ne pourrait avoir pour eux qu’un sens odieux ou ridicule. Il ne faut pas croire l que l’on puisse offenser ou couper un bras, que la douleur ne s’en porte a la téte; et il n’est pas plus croyable que la volonté générale consente qu’un membre de l’Etat, quel qu’il soit, en blesse ou dé- truise un autre, qu’il ne l`est que les doigts d’un homme usant de sa raison aillent lui crever les yeux. La sureté particuliére est tellement liée avec la confédération publique, que, sans les égards que l’on doit a la faiblesse humaine, cette convention serait dissoute par le droit, s’il périssait dans l’Etat un seul citoyen qu’on efit pu secourir, si l’on D en retenait a tort un seul en prison, et s’il se perdait un seul proces avec une injustice évidente; car, les conventions fondamentales étant enfreintes, on ne voit plus quel droit ni quel intérét pourrait main- tenir le peuple dans 1’union sociale, a moins qu’il n’y filt retenu par la seule force qui fait la dissolution de l’état civil. En effet, Pengagement du corps de la nation n’est·il pas de pour- voir a la conservation du dernier de ses membres avec autant de soin qu’a celle de tous les autres? et le salut d’un citoyen est·il moins la cause commune que celui de tout l’Etat? Qu’on nous dise qu’il est bon qu’un seul périsse pour tous; j’admirerai cette sentence dans la bouche d’un digne et vertueux patriote qui se consacre volontaire· ment et par devoir a la mort pour le salut de son pays : mais si l’on entend qu’il soit permis au gouvernement de sacrifier un innocent au salut de la multitude, je tiens cette maxime pour une des plus exé- crables que jamais la tyrannie ait inventées, la plus fausse qu’on puisse avancer, la plus dangereuse qu’on puisse admettre, et la plus directement opposée aux lois fondamentales de la société. Loin qu’un seul doive périr pour tous, tous ont engagé leurs biens et leurs vies